Un casque, un gilet pare-balle, un fusil et un mini-drone. La guerre entre la Russie et l’Ukraine sera celle qui aura révélé toute l’utilité d’un petit robot volant dans l’équipement du soldat. Fin janvier, le gouvernement ukrainien a annoncé que plus de 512 millions d’euros seront investis par l’Ukraine dans les drones de combat en 2023. Le pays attaqué par la Russie a très tôt compris l’avantage qu’il peut tirer des caméras vendues pour filmer ses vacances au bord de la Méditerranée.
Les vidéos musicales de lâcher de grenade avec des modèles transformés depuis le ciel ont fait le tour des réseaux sociaux et sont peut-être la meilleure publicité possible pour les militaires et industriels. On s’attendrait presque à un « testé et approuvé » après chaque explosion.
La « dronisation » de l’armée est bien en marche. En décembre 2022, le ministère de la Défense britannique a conclu un contrat de 144 millions d’euros avec l’entreprise américaine Lockheed Martin pour la livraison de plus de 250 mini-drones pour l’armée britannique. La France met les moyens, également : Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a annoncé début janvier l’acquisition de 3 500 appareils pour la prochaine loi de programmation militaire.
Si l’on doit s’habituer à voir des quadrocopter et des avions miniatures aux côtés des soldats, il faut aussi commencer à distinguer les drones. Parler d’avion ou de char dans l’armée n’a aucun sens, si on ne précise pas son type et son utilité. Le corps militaire a lui-même encore du mal à distinguer ce qui ressort de l’armée de l’air, de terre ou de mer.
« On assiste aux mêmes types d’expériences qu’avec l’avion lors de la première guerre mondiale. On voit beaucoup de bricolage, différents modèles ou explosifs seront testés et les militaires s’adaptent en fonction des résultats », nous décrit Yohann Michel, analyse défense à l’International Institute for Strategic Studies. « Il arrive maintenant que les drones se rencontrent sur le terrain. Des altercations ont été observées. Les forces armées sur le terrain vont privilégier des modèles plus solides, par exemple, les industriels suivront pour améliorer leur produit.»
Des unités militaires encore inédites
Les drones ne sont pas nouveaux sur les bases aériennes ; les Américains en utilisaient déjà dans les années 1960 au Viêt Nam. La miniaturisation, la qualité des caméras, la facilité de pilotage et le prix de fabrication ont popularisé son usage. Les engins téléguidés se divisent en de nombreuses catégories désormais et le modèle le plus populaire n’est pas produit par un géant de l’industrie de la défense, mais le leader mondial des appareils de tourisme, DJI.
Le mastodonte chinois ne fournit ni l’Ukraine ni la Russie, ses produits sont même interdits de vente dans les deux pays. Cela n’empêche pas les bénévoles et les fonds de charité d’acheter des stocks massifs auprès des détaillants. Anton Frolov travaillait dans le tourisme avant que l’Ukraine soit envahie, il organisait des séjours, filmait des souvenirs en Amérique latine. « J’adore le Guatemala, les plages y sont magnifiques » raconte-t-il en souriant. Une fois que les militaires russes ont passé la frontière, il décide de mettre ses compétences au service des forces armées ukrainiennes en formant les soldats au pilotage de drone. Accompagné de son ami Viktor Taran, ils ouvrent un centre d’entrainement à Kiev, baptisé Kryk – la corneille en ukrainien – avec deux modèles DJI en main.
Neuf mois plus tard, ils ont formé à deux plus de 1 000 militaires avec des centaines d’appareils, dispensent plus d’une dizaine de cours différents à quarante personnes chaque semaine. La dernière formation en date ? Le pilotage de modèles FPV avec vue du vol en première personne depuis un casque. L’Ukraine en reçoit des milliers pour les transformer en drone suicide. Et les Russes suivent cette technique puisque l’appel aux dons de drones est également très courant sur les chaînes Telegram russes.
Le retour des tranchées, des batailles urbaines et des combats rapprochés en Europe n’ont cessé de faire évoluer l’utilisation de ces modèles destinés à filmer ses vacances. « Sur le champ de bataille aussi, le pilote de drone a pris de l’importance et est devenu une cible à abattre » avance Anton. « Il y a bien la reconnaissance, les frappes, mais les drones produisent désormais une crainte constante et psychologique pour l’ennemi. »
Naturellement, l’armée doit s’organiser différemment en fonction des missions des soldats. « Il y a encore beaucoup de questionnement sur la spécialisation dans les drones » indique Yohann Michel. « Le mini-drone étant utilisé pour améliorer la précision des tirs, est-ce que chaque unité d’artillerie doit dorénavant avoir son propre appareil ? C’est déjà le cas en Ukraine. Une première unité spécialisée, la brigade de reconnaissance d’artillerie, a été créée par exemple. C’est totalement nouveau comme catégorie pour les analystes. »
Des drones chinois dans l’armée française
Les drones intègrent même les unités de blindés, puisque les derniers chars présentés lors des salons et différentes démonstrations sont équipés de systèmes téléguidés. « Des mini-drones peuvent servir à calibrer un tir lorsque la cible n’est pas visible, dissimulée derrière une colline », précise le chercheur sur les questions de défense. Le tank phare de l’armée américaine, l’Abrams X, dispose de quatre drones kamikaze Switchblade pour frapper des unités équipées de missiles par exemple. L’équivalent moderne allemand, le Panther KF-51 aura sera aussi capable de tirer des explosifs téléguidés Hero 120.
Ce dernier modèle est fabriqué par la société israélienne UVision Air tandis que le Switchblade est produit par AeroVironment aux États-Unis. L’Europe manque encore d’un véritable spécialiste en drone militaire. En France comme au Royaume-Uni, les militaires s’entrainent sur des quadrocopters de DJI. Leur utilité n’est plus à prouver, mais une crainte subsiste autour d’un fabricant issu d’un pays où toutes les entreprises sont surveillées par le pouvoir. Les États-Unis ont également commencé avec ces modèles, avant de définitivement les bannir de leur base en 2016.
Interrogée par Numerama, l’armée de l’air nous répond que les appareils ont été modifiés de manière « à ne pas être en contact avec les serveurs à l’étranger ». Une source anonyme nous indique que « le vol de ces appareils sur des bases françaises est interdit depuis 2018. Les entrainements se font en dehors de ces zones. À noter aussi que les modèles utilisés par l’armée française ont été entièrement déconnectés d’internet, de manière à ce qu’aucune mise à jour ne soit activé et lance un signal en Chine.»
Quant à DJI, les derniers modèles sortis d’usine profitent d’une technologie de pilotage améliorée, plus autonome pour continuer leur vol sans l’aide du pilote. Esquiver les obstacles, repérer une cible et pourquoi pas lui tirer dessus automatiquement ? On voit déjà briller les yeux des militaires.
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