Il y a d’abord eu les images, spectaculaires. Sur le sol enneigé de l’Ukraine, à Stepove, dans les environs de d’Avdiivka, on distingue un blindé en grande difficulté. Pendant plusieurs dizaines de secondes, le char subit un tir nourri, sans manifestement parvenir à orienter sa tourelle vers l’origine de l’attaque et à faire feu pour riposter.
La cause de ce pilonnage en règle ? Deux véhicules de combat d’infanterie, le M2 Bradley, cédés à l’Ukraine par les États-Unis. Durant cette séquence, l’un d’eux ne cesse d’ouvrir le feu sur le tank, identifié comme un T-90M. C’est un char très courant dans l’armée russe : sa première version est entrée au service actif au début des années 1990.
Tout au long de la vidéo, on voit s’enchaîner les impacts spectaculaires des tirs du Bradley, dont la mise en service est plus ancienne — les premiers exemplaires sont arrivés au début des années 1980. De fortes explosions sont visibles, sans doute causées par le choc des munitions sur le blindage réactif du T-90M.
En perdition, le tank ne parvient pas à se dégager ou à reprendre l’avantage. Il est neutralisé vers la fin de la vidéo, lorsqu’un drone kamikaze ukrainien est précipité dessus. L’équipage, toujours vivant, finit par s’enfuir. Il a été rapporté par la suite que sur les trois soldats russes, deux ont été tués et le troisième capturé par les ukrainiens.
Ce face-à-face entre un véhicule de combat d’infanterie, plus léger et plus ancien, et surtout moins doté en puissance de feu que le tank russe, a fait l’objet d’une bataille de communication à la mi-janvier 2024 entre Kiev et Moscou, quand les images ont été diffusées. Les Russes ont minimisé, les Ukrainiens ont revendiqué la victoire.
Selon Oryx, un site de renseignement en source ouverte devenu une référence sur la guerre entre les deux pays, c’est bien l’Ukraine qui est ressorti victorieuse de ce duel mécanisé. Le tank est recencé parmi les pertes de l’armée russe. Il est le 12e T-90M à avoir été endommagé et abandonné, parmi des pertes plus conséquentes encore.
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Après ces images déjà spectaculaires, c’est le compte rendu de l’équipage ukrainien qui s’est avéré marquant. Une traduction, fournie par le compte X (ex-Twitter) de WarTranslated le 19 janvier, nous permet d’apprendre le type d’emploi de ces Bradley dans les conditions hivernales, et par ailleurs de mettre des visages sur l’équipage ukrainien.
De la théorie virtuelle à la pratique réelle de la guerre
Mais, durant cet échange, c’est la confidence de celui qui est prénommé Serhii, le tireur, qui a frappé les esprits. L’intéressé, qui est dans la vie civile un professeur, s’avère aussi être un joueur de jeux vidéo. Durant son interview à TCH, il a expliqué s’être souvenu du point faible du char en jouant à.. War Thunder.
Ce détail, découvert le 19 janvier, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, comme le montrent certaines réactions d’internautes qui ont reçu beaucoup d’attention ces derniers jours. « Ce T-90 s’est fait taper parce que ce gars a joué à War Thunder et savait où se trouvaient les points faibles », lit-on par exemple.
« Nous avons tiré avec tout ce que nous pouvions. Au début, avec de l’anti-blindage. Ensuite, nous avons commencé à avoir des problèmes. Mais comme je jouais à des jeux vidéo, je me souvenais de tout, à la fois de la façon de les frapper et de l’endroit où ils se trouvaient », a-t-il indiqué, sans citer directement War Thunder.
C’est par la suite que le rôle de War Thunder a été déduit, que ce soit sur X, dans certains forums de Reddit et sur certains médias spécialisés. Rien de bien étonnant, après tout, quand on voit, par exemple, l’existence de vidéos intitulées : Guide des points faibles pour battre la plupart des tanks (War Thunder).
Il serait sans doute excessif d’attribuer tout le mérite de cette victoire militaire survenue au nord-ouest d’Avdiivka au seul fait que Serhii est aussi un gamer. D’autres facteurs sont à considérer : le renseignement, le pilotage du Bradley, les renforts, la détermination au combat, les positions de départ et le degré de préparation des équipages.
Il n’empêche. Il n’est pas tout à fait surprenant de découvrir le rôle, très indirect, de War Thunder dans ce duel. Ce jeu vidéo, lancé en 2009, est connu pour être une simulation de combat assez réaliste et fidèle avec les capacités et les caractéristiques des véhicules employés, qu’ils soient aériens, terrestres ou maritimes.
Un souci d’exactitude qui a parfois donné lieu à des dérives. Certains nerds de War Thunder et de la chose militaire, qui désiraient démontrer qu’ils avaient raison sur tel ou tel détail technique ou bien un élément de performance, n’ont pas hésité à faire fuiter de vraies informations confidentielles sur des matériels.
Plusieurs cas ont été rapportés ces dernières années : les tanks Challenger 2, Leclerc, ZTZ-99 et Norinco VT-4, mais aussi les hélicoptères Tigre et Apache, les avions de chasse F-16, F15-E, Sukhoi Su-57 MiG-29, Typhoon, F-117. Ironie de l’histoire, même le Bradley a été touché, même si la fuite a porté sur des documents non classifiés.
Le T-90 n’est pas inclus dans ces fuites. En revanche, le tank est présent dans War Thunder depuis 2017, avec une mise à jour qui a permis d’ajouter plusieurs tanks de bataille principaux et des hélicoptères d’attaque. Le T-90 existe en plusieurs versions. Celui qui a été vaincu en janvier est un modèle apparu à partir de 2016.
Sur War Thunder, le T-90M a été annoncé en décembre 2023 lors d’une note de mise à jour. Il n’est pas encore en jeu, mais c’est une version qui partage des points communs avec le T-90. Il est décrit comme offrant un degré de survie accru — ce qui s’est confirmé lorsque l’équipage du vrai T-90M s’est extrait de l’engin.
Selon le site Oryx, la Russie a perdu 13 951 matériels de combat, dont 9 752 ont été détruits, 636 endommagés, 663 abandonnés et 2 900 capturés. Sur le T-90 plus précisément, on compte 37 T-90A neutralisés, T-90AK, 8 T-90S et 58 T-90M. Le T-90 n’est pas le tank le plus récent de la Russie. C’est le T-14/Armata depuis 2021.
Du côté de l’Ukraine, on recense 5 021 pertes de matériels, dont 3 461 de véhicules détruits, 406 endommagés, 197 abandonnés et 957 capturés. Le Bradley aussi perd un lourd tribu au front. Le site Oryx a comptabilisé 65 véhicules de ce genre détruits ou endommagés, et parfois abandonnés. Un seul a été capturé.
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