Cinq questions au commandant de l’Unité nationale cyber, la branche de la gendarmerie chargée de lutter contre une cybercriminalité en plein essor, allant du phishing au cyberharcèlement en passant par le marché noir.

Ventes d’armes, de stupéfiants, campagne de phishing, cyberharcèlement… Tous ces crimes et délits partagent un dénominateur commun : celui de transiter par des plateformes numériques opaques. L’Unité nationale cyber (UNCyber), qui succède au ComCyberGend, a été lancée en début d’année pour lutter plus efficacement contre une cybercriminalité toujours plus étendue et interconnectée entre les crimes. Impliqués dans l’affaire des réquisitions Telegram, ces gendarmes traquent les activités malveillantes sur le réseau. Son commandant, le Colonel Hervé Pétry, rencontré dans le cadre du Salon Agir, nous présente les défis posés par les plateformes chiffrées, devenues des refuges pour les criminels.

Le Colonel Hervé Pétry. // Source : Unité national cyber
Le Colonel Hervé Pétry. // Source : Unité national cyber

L’arrestation de Pavel Dourov a mis en lumière Telegram, fréquemment perçu comme un réseau opaque et attractif pour les criminels. Pourquoi Telegram posait-il autant de problèmes aux autorités ?

Colonel Hervé Pétry : Telegram a longtemps été une plateforme qui ralentissait les enquêtes. Le principal obstacle venait du fait qu’elle ne répondait pas aux réquisitions judiciaires de la justice française, ce qui est anormal. En plus de cela, il y avait un second problème, lié à la modération des contenus sur la plateforme.

Face à ces deux raisons, la justice a décidé de saisir l’Unité nationale cyber pour poursuivre les investigations. Par la suite, et à la faveur d’un mandat émis avant que nos enquêteurs ne se saisissent du dossier, la plateforme a mis en place de nouvelles dispositions.

Qu’est-ce qui rend Telegram plus inquiétant que les autres réseaux sociaux ?

Col. H.P : Toutes les plateformes d’échanges ont leurs défauts et leurs soucis, mais Telegram avait quelques particularités. D’abord, la fonctionnalité « personnes à proximité » permettait de trouver des contacts autour de soi rapidement. Des vendeurs d’armes et de stupéfiants se localisaient en un instant avec une carte sur Telegram et pouvaient se retrouver au coin de la rue.

Ensuite, l’entreprise répondait peu, voire jamais, aux demandes de réquisitions, alors que les sujets étaient graves : narcotrafic, traites d’êtres humains, pédocriminalité. La situation a quelque peu changé. Des investigations sont toujours en cours, mais Telegram nous répond plus souvent depuis peu. Nos confrères Belges ont également reçu des réponses.

Une chaîne Telegram pour lancer ses campagnes de phishing. // Source : ESET
Une chaîne Telegram pour lancer ses campagnes de phishing. // Source : ESET

Quelques voix se sont élevées pour dénoncer une atteinte à la liberté d’expression. Est-ce le cas lorsque l’on arrête le patron d’un réseau social ?

Col. H.P : Il y a une vaste erreur de compréhension : le sujet ne porte en aucun cas sur la liberté d’expression, contrairement à ce que certains pourraient croire. Le véritable problème réside dans deux points essentiels : la réponse aux réquisitions judiciaires et la modération des contenus, deux enjeux cruciaux dans le cadre des investigations.

Telegram est régulièrement utilisé pour des activités illicites graves : trafic d’armes, stupéfiants, pédocriminalité, avec parfois une grande visibilité. La justice française a donc décidé de s’attaquer à cette impunité numérique. En agissant sur ces dérives, elle cherche à rétablir un cadre légal et à assurer que la plateforme respecte les lois en vigueur. Vous pouvez malgré tout toujours discuter ou critiquer autant que vous voulez sur Telegram.

Outre Telegram, y a-t-il d’autres plateformes qui retiennent votre attention ?

Col. H.P : Telegram, c’est un exemple parlant, mais toutes les infrastructures de messageries chiffrées sont des outils essentiels pour la délinquance et la criminalité. D’autres services nécessitent notre surveillance.

Prenez l’exemple de Coco. Cette plateforme, aujourd’hui fermée, a été mise au service d’un certain nombre d’individus pour commettre des méfaits parfois purement cyber, tels que du harcèlement, mais aussi pour organiser des atteintes aux personnes, et des attaques ciblées. Par exemple, à Saint-Pol-sur-Mer, plusieurs individus utilisaient Coco pour piéger et extorquer des victimes homosexuelles. Le réseau de Mazan a aussi exploité Coco.

Un autre exemple qui nous a demandé du travail, c’est l’application Ghost. Ce discret service de messagerie était devenu le réseau privilégié pour des milliers d’organisations du crime organisé. En coopération avec d’autres forces de polices, nous avons pu procéder à des arrestations un peu partout dans le monde, notamment en Suède et en Australie. L’un des serveurs de cette application était d’ailleurs localisé en France.

L'image qui s'affiche désormais lorsque l'on se rend su le site Coco // Source : Numerama
La plateforme Coco a été démantelée. // Source : Numerama

On parle souvent de la nécessité de porter plainte une fois que l’on a été piraté ou arnaqué. Est-ce que cela sert vraiment ?

Col. H.P : Oui, si vous êtes victime d’une escroquerie, il est essentiel de porter plainte. Certaines personnes hésitent à le faire, craignant que cela puisse porte atteinte à leur renommée. Cependant, ne pas signaler ces crimes est une mauvaise stratégie. Cela empêche les forces de police d’être informées, ce qui permet à ces actes de proliférer.

Porter plainte, c’est le premier pas pour permettre aux forces de l’ordre de s’attaquer au sujet. Cela nous aide à détecter de nouveaux phénomènes, à rapprocher les faits et à identifier les infrastructures utilisées par les criminels.

Les atteintes aux biens constituent deux tiers des cas de cybercriminalité, tandis que les atteintes aux personnes, telles que le cyberharcèlement et la pédocriminalité, représentent un peu plus d’un tiers.

Des plateformes existent pour faire un signalement rapide aux autorités telles que Perceval ou la Brigade numérique, pour discuter avec des forces de l’ordre. Les pirates, même à l’étranger, peuvent être interpelés et cela reste la finalité de notre travail.

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