830 000 euros envoyés à un brouteur : il s’agit très certainement d’un record mondial. Anne Deneuchatel, 53 ans, s’est fait piéger pendant plusieurs mois par un réseau de cybercriminels imitant Brad Pitt et son entourage, pour exploiter son mal-être sentimental et la fortune de son ex-époux.
La victime a raconté sa mésaventure dans Sept à Huit sur TF1, avec des extraits immédiatement repris dans le monde entier. L’arnaque sentimentale au faux Brad Pitt cumule plusieurs millions de vues sur les réseaux sociaux, qui se moquent très souvent d’Anne et de son incapacité à déceler la vérité. Il faut dire que les photomontages envoyés par le faux Brad Pitt peuvent faire sourire, malgré l’extrême injustice vécue par la Française.
Depuis la diffusion du reportage le 12 janvier 2025, l’histoire s’emballe. Anne accuse TF1 d’avoir déformé la réalité pour la faire passer pour une idiote, tandis que son entourage raconte une histoire beaucoup plus complexe dans le podcast LEGEND, avec plusieurs faux protagonistes inventés par les brouteurs pour isoler Anne et la faire tomber dans le panneau.
Que s’est-il vraiment passé ? Entre fausses interventions médicales, virements en cryptomonnaies et pièges parfaitement ciblés, Anne semble avoir été victime d’un piège d’une ampleur inédite.
TF1 n’a pas menti sur l’histoire d’Anne, mais a sans doute simplifié le piège
À en croire Anne Deneuchatel et Marwan Ouarab, un « hacker » chargé d’enquêter sur l’affaire, TF1 aurait volontairement menti pour faire passer la victime pour une idiote.
Pourtant, rien ne suggère que TF1 ait inventé quoi que ce soit dans son reportage. L’émission Sept à huit, que Numerama a pu consulter avant sa suppression par TF1 (Anne attaque la production en justice), met en avant les mêmes faits que les protagonistes de l’histoire, mais fait l’impasse sur plusieurs détails. Anne n’a pas été piégée par un faux Brad Pitt, mais par un groupe de plusieurs personnes, dont cette réplique de l’acteur, qui ont mis en place « une pièce de théâtre » trop grosse pour être fausse, selon la femme de 53 ans.
Parmi les faits contestés par la victime : Anne indique ne pas avoir été quittée par son mari et affirme être à l’origine de la demande de divorce. Il s’agit dans tous les cas d’un détail de cette histoire rocambolesque. Ce qu’il faut retenir est qu’Anne était une proie facile pour les brouteurs, puisqu’elle était en détresse. « Atteinte du VIH et guérie d’un cancer », d’après ses dires, la Française installée à l’île Maurice se sentait seule et isolée, sans personne à qui se confier. Les personnes qui l’ont ciblée savaient probablement ce qu’ils faisaient, puisqu’ils sont allés lui offrir du réconfort sentimental, afin de l’amadouer.
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Autre élément démenti par Anne : la jeune femme affirme ne pas être tombée dans le piège bêtement. Elle explique avoir très souvent douté de l’authenticité de ses échanges, mais avoir cédé face à la pression des brouteurs. Elle a notamment reçu des messages de faux médecins, qui l’accusaient d’être à l’origine d’une tentative de suicide de Brad Pitt, ou des textos des agents et de la famille de l’acteur. Cette pression, sans possibilité de se confier, l’a souvent culpabilisée. Anne aurait régulièrement demandé des preuves d’identité, qu’elle a systématiquement obtenues. Mais le piège était vraisemblablement trop gros et elle n’a pas su y résister.
Payer était souvent la seule manière de s’en sortir, pour ne plus culpabiliser de la peur de laisser « Brad Pitt » mourir.
Quid de la qualité des photomontages, qui sont loin d’être aussi réussis que les images générées par intelligence artificielle ? Anne y a cru par méconnaissance du sujet. Les deep fake, avec la voix de Brad Pitt posée sur son visage, ont notamment contribué à la faire douter.
830 000 euros distribués pendant plusieurs mois, en plusieurs fois
Autre question : comment une seule personne a-t-elle pu verser 830 000 euros à un brouteur ? Le faux Brad Pitt affirmait que ses comptes étaient gelés, le temps de son divorce avec Angelina Jolie, pour demander des avances à Anne. Un piège parfait pour justifier pourquoi il ne pouvait pas payer lui-même.
Anne n’a pas viré 830 000 euros d’un seul coup, ce qui aurait évidemment alerté les banques, mais a effectué plusieurs virements de petites et moyennes sommes, souvent en passant par des plateformes de cryptomonnaies ou des comptes étrangers, notamment en Turquie. On lui a, par exemple, demandé de payer des frais de douane pour des cadeaux jamais reçus, des frais médicaux pour des greffes ou des frais de justice pour récupérer son argent (avec un personnage faux agent du FBI, Doug Smith, qui rend l’histoire encore plus abracadabrantesque).
Anne a effectué plusieurs « petits » virements de 600 à 10 000 euros pendant plusieurs mois, notamment quotidiennement pour financer les fausses dialyses de l’escroc, mais aussi des transferts plus gros, pour financer des interventions médicales. Le virement le plus important, qui serait un record pour une histoire d’arnaque sentimentale, était de 115 000 euros. C’est sur ce point que les avocats d’Anne attaquent les banques qui, au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent, auraient dû intervenir.
Une des erreurs d’Anne a été de se confier à « Brad Pitt » sur ses propres problèmes médicaux et sur son argent récupéré par le divorce, ce qui l’a évidemment rendue vulnérable.
De la manipulation et du harcèlement, le faux Brad Pitt localisé au Bénin
Au total, Anne indique à TF1 avoir bloqué le faux Brad Pitt une quarantaine de fois. Mais le piège était à chaque fois trop bien conçu, avec de nouveaux numéros créés pour renforcer la crédibilité de l’arnaque. Même le fameux faux reportage télé à base de deep fake qui a circulé en ligne l’a fait douter : Anne ne savait pas qu’il était possible de concevoir de fausses vidéos. Le faux Brad Pitt a réussi à démentir sa vraie histoire d’amour grâce à ce très mauvais montage.
Dans le podcast LEGEND, où le hacker Marwan Ouarab aperçu à la fin du Sept à Huit raconte l’histoire de manière plus détaillée, on apprend que le brouteur a été repéré au Bénin et que son adresse est désormais connue des autorités. TF1 n’a pas indiqué que l’histoire pourrait bien finir, puisque le hacker s’attend à ce qu’Anne récupère rapidement son argent.
S’agit-il d’une estimation un peu trop optimiste ? C’est difficile à dire. L’argent disparaît souvent dans ce type d’affaires. Anne s’énerve aussi contre le traitement médiatique et dément toute naïveté, en expliquant que n’importe qui aurait pu tomber dans le piège. Elle explique que sa participation au reportage de TF1 est le fruit d’une « manipulation », ce qui est curieux alors qu’elle a reçu les journalistes plusieurs jours, de son plein gré.
Pourquoi Anne attaque TF1 en justice ?
Dans LEGEND, qui est présenté comme un démenti du reportage de TF1, on apprend surtout des détails supplémentaires sur l’histoire, sans grande contradiction avec le contenu de Sept à Huit.
C’est la fausse mère de Brad Pitt qui a d’abord piégé Anne, avec d’abord une conversation de groupe où Brad Pitt semblait ignorer la jeune femme. L’amourette a commencé un peu plus tard, avec des poèmes rédigés pour attendrir la cinquantenaire. Marwan Ouarab indique qu’Anne n’est pas tombée dans le piège par amour d’un faux Brad Pitt, mais parce que la présence de nombreux interlocuteurs lui paraissaient authentique, avec des photomontages soi-disant réalistes. Le brouteur a aussi ciblé les problèmes de santé d’Anne, en jouant sur le cancer pour lui rappeler des mauvais souvenirs.
Pour retrouver le brouteur, l’entreprise de Marwan Ouarab lui a envoyé un lien piégé, sur lequel il aurait cliqué. L’adresse de son wallet cryptomonnaies a été retrouvée, au même titre que son adresse postale. Le brouteur se ferait passer pour Brad Pitt et Keanu Reeves auprès de nombreuses victimes. Il vivrait aujourd’hui au Bénin, où les autorités devraient prochainement intervenir.
Dans une vidéo de deux minutes, Anne explique « avoir juste voulu aider une personne ». Elle explique vivre dans un box de six mètres carré et reproche à TF1 de ne pas avoir mis en avant sa cagnotte, malgré la promesse des journalistes. Anne dit « avoir douté » très souvent, mais avoir craint d’être « fautive » suite aux messages des médecins, etc. En clair, une victime fragile psychologiquement, au discours confus et peu en maîtrise des technologies malgré ce qu’elle semble croire : la cible idéale pour ce type d’opérations. Elle dément également la phrase de TF1 selon laquelle sa fille et elle se seraient brouillées sur le sujet, même si Sept à Huit n’a pas vraiment dit ça comme ça.
Réussira-t-elle à retrouver son argent ? C’est plus difficile à prédire. Son état de santé serait aujourd’hui inquiétant.
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