L’Ukraine sera-t-elle privée de Starlink en pleine guerre contre la Russie ? C’est l’inquiétude qui a éclos au cours du week-end, à la suite d’un échange quelque peu abrupt sur X (ex-Twitter) entre Elon Musk et Radosław Sikorski, le ministre polonais des Affaires étrangères. La raison ? Un tweet du milliardaire américain interprété comme un avertissement.
À un internaute, Elon Musk a revendiqué le rôle central de sa constellation de satellites dans les communications et la planification ukrainiennes, face à l’agresseur russe. « Starlink est l’épine dorsale de l’armée ukrainienne, a-t-il lancé. Toute leur ligne de front s’effondrerait si je l’éteignais ». Cela, avant de réclamer la paix immédiatement entre Kiev et Moscou.

En raison du contexte, la prise de parole du patron de SpaceX, société qui opère et commercialise l’accès à Internet via Starlink, a été perçue comme une menace voilée à Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien connaît en effet une phase diplomatique difficile avec Donald Trump, depuis un rendez-vous houleux à la Maison-Blanche le 28 février.
Plusieurs mesures de rétorsion ont été constatées ces derniers temps de la part des États-Unis : un soutien politique beaucoup moins net, une pause dans le partage de renseignements militaires ou encore l’interruption des livraisons de matériels et de munitions. Dès lors, il était à craindre que les mots de Musk annoncent une escalade supplémentaire dans les représailles.
Ce risque, qui survient en plein désalignement entre l’Europe et les États-Unis, est pris très au sérieux.


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La guerre moderne est très dépendante des satellites, qu’il s’agisse de produire du renseignement optique (imagerie satellitaire), collecter des informations électromagnétiques (comme la position d’un radar), faire du positionnement (le GPS sert aussi à guider des missiles) ou bien acheminer des communications sécurisées.
Agacement des autorités polonaises
D’où la réaction agacée de M. Sikorski. « Les [liaisons et les antennes] Starlink sont payées par le ministère polonais de la numérisation pour un coût d’environ 50 millions de dollars par an », a-t-il relevé. « Au-delà de l’éthique qui consiste à menacer la victime d’une agression, si SpaceX s’avère être un fournisseur peu fiable, nous serons contraints d’en chercher d’autres. »
La Pologne fait partie des pays les plus en pointe dans le soutien à l’Ukraine, en raison de sa proximité géographique avec la Russie et la Biélorussie. Au-delà de l’aide financière, humanitaire et militaire, le pays se réarme également à vive allure, avec l’un des efforts les plus importants du continent, avec presque 5 % du PIB à la défense.
Une intervention du ministre qui n’a pas été appréciée par Elon Musk, qui a rapidement réagi, avec une tournure fort peu diplomatique : « Tais-toi, petit bonhomme. Vous ne payez qu’une infime partie du coût. Et il n’y a pas de substitut à Starlink », a-t-il rétorqué. L’échange ne s’est pas poursuivi par la suite entre les deux hommes.
L’affirmation d’Elon Musk selon laquelle il n’y a pas de substitut à Starlink est toutefois à nuancer. Une option européenne existe bien via l’entreprise française Eutelsat. Certes, sa constellation en orbite est plus modeste (on parle de 631 satellites pour Eutelsat, contre 6 382 pour Starlink), mais elle est loin d’être anecdotique.

Des appels existent d’ailleurs, y compris dans le monde de la défense, pour opérer une bascule de Starlink vers Eutelsat. D’autant que les performances du réseau d’Eutelsat (qui s’appuie sur la constellation OneWeb, déjà en place, et rachetée) sont solides. On parle d’un débit de 150 mégabits par seconde pour Eutelsat, contre 200 pour Starlink.
En fait, le principal challenge s’avère la production et l’acheminement des récepteurs satellitaires, en tout cas dans une fenêtre d’action assez brève pour ne pas créer de difficulté sur le terrain. On estime qu’il y aurait 40 000 antennes Starlink en Ukraine actuellement. Cela donne une bonne idée de l’ampleur du remplacement à effectuer.
Cela pourrait prendre des mois. À cela s’ajoute aussi la question financière : qui paiera pour l’acquisition de tous ces terminaux et pour les frais mensuels d’utilisation ? Vraisemblablement, ce sera un ou plusieurs pays européens, ou bien l’Union européenne. Dernièrement, le Vieux Continent s’est dit prêt à aligner les milliards pour l’Europe de la défense.
Elon Musk calme le jeu, tandis que l’Europe prépare Iris²
Depuis, Elon Musk est revenu sur cette histoire, dans un autre tweet. D’après lui, « quel que soit mon désaccord avec la politique de l’Ukraine, Starlink n’éteindra jamais ses terminaux. Nous ne ferions jamais une telle chose ni ne l’utiliserions comme monnaie d’échange », a-t-il écrit. Il disait vouloir juste souligner l’importance de son réseau.
Mais l’histoire de la guerre en Ukraine apparaît aussi émaillée de récits qui montrent que Starlink n’a pas toujours laissé à l’Ukraine la maitrise de ses opérations. Une interruption serait ainsi survenue, au motif qu’Elon Musk aurait craint une riposte nucléaire sur l’Ukraine. En outre, Elon Musk reste très sourcilleux sur la question du financement de son aide.
Ce contexte géostratégique et l’apparente convergence de vues entre Washington et Moscou constituent plus que jamais un rappel très important pour l’Europe : l’autonomie stratégique se construit en bâtissant ses propres armements et solutions, à l’image de ce qu’a fait globalement la France avec son industrie de défense.
Ce fut possible avec Galileo, donnant au Vieux Continent une autonomie sur le GPS américain — et cela n’interdit pas l’interopérabilité. Sans surprise, il sera impératif d’aller au bout d’Iris², un programme qui entend devenir, à son niveau (on parle de 300 satellites), l’équivalent de Starlink. Mais cela prendra du temps. Rendez-vous en 2030.
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