Huawei est un dragon médiatique que l’Occident aurait trop longtemps pris pour un tigre de papier. Que ce soit à la lumière de la détention de la numéro deux de la firme au Canada, de la méfiance à l’encontre de ses équipements ou bien encore à la lumière de sa fulgurante progression commerciale, Huawei est de toutes les colonnes, recevant et rendant les coups.
Après une année 2018 qui l’a faite entrer dans la lumière, l’entreprise aligne son verbe à sa puissance : à la manière d’un chef d’État, Guo Ping, un des trois responsables assurant la présidence tournante du géant, a adressé à ses clients et aux médias internationaux ses vœux de fin d’année. Un message placé sous le signe de la conquête, Guo Ping citait Cicéron à cet effet : « plus grande est la difficulté, plus grande est la gloire ».
« comme un match de NBA sans joueurs stars »
Et qu’importe les États qui boudent les équipements du géant pour la 5G puisque, écrit le Chinois, « les marchés qui choisiraient de travailler sans Huawei seraient comme un match de NBA sans joueurs stars : le match aurait lieu, mais sans habileté, sans flair, sans expérience ».
Du haut de sa mastodonte industrielle, Guo Ping se perd en aphorismes belliqueux qui rappelleront à ses contempteurs le petit livre rouge. Malgré la multiplication des crises l’entreprise prise en tenaille entre Washington et Pékin, se montre toujours plus combative quitte à assumer sa force. L’arrestation par Pékin de plusieurs citoyens canadiens en représailles indirectes de l’arrestation de sa directrice financière lève les doutes quant à la vulnérabilité supposée d’un dragon émergent.
Rendre les coups
À quelques kilomètres de Shenzhen, à Dongguan, dans son plus tentaculaire campus aux faux airs de Vieux Continent disneyland-isé, Huawei a tenu une conférence presse géante résumée par cette phrase martelée par Ken Hu, directeur général : « il n’y a aucune preuve que Huawei menace la sécurité nationale de quelque pays que ce soit ».
M. Hu, devant un parterre de journalistes internationaux, renvoyaient toutes les agences de renseignement occidentales à leur impossibilité de produire des preuves quand celles-ci dénoncent les liens entre l’industriel et le pouvoir central chinois. Ces dernières auront beau répondre qu’elles n’en ont pas l’occasion sans contrevenir à leurs intérêts nationaux respectifs, Huawei garde la tête haute.
Pour améliorer encore son image, l’entreprise a promis aux journalistes un investissement de 2 milliards de dollars dans la cybersécurité, soit presque 2 % de son chiffre d’affaires. Ces investissements iront dans la création d’un centre à Bruxelles — nous parlions d’initiatives similaires en Allemagne et au Royaume-Uni — afin de convaincre de la transparence et de la bonne foi de l’équipementier. Balle au centre.
« il n’y a aucune preuve que Huawei menace la sécurité nationale de quelque pays que ce soit » selon Huawei
Les responsables politiques et les citoyens s’en remettront à leur propre foi dans les renseignements puisque sans preuve, il faut croire les espions sur parole quand ils affirment, comme en Australie, que la firme aurait donné aux services chinois les « codes et mots de passe » (sic) pour accéder à un réseau étranger, ou aux États-Unis quand Michael Hayden, ancien patron de la NSA, confirmait la collaboration de Huawei avec le pouvoir central auprès d’un quotidien. Hayden, qui après sa carrière dans le renseignement, était devenu un cadre de Motorola, concurrent direct de la firme chinoise.
En outre pour les dirigeants, cette confiance dans le renseignement est toujours liée à un agenda qu’il soit politique ou économique — sans que les deux s’excluent — et il n’échappera à personne que la reprise d’une guerre commerciale entre Washington et Pékin a considérablement relancé la méfiance contre Huawei et, mécaniquement, les déclarations des espions sur le sujet. Nous vous renvoyons à l’épisode précédent, Orange et Huawei : une amitié à géographie variable, durant lequel les espions des Five Eyes décidaient de remettre la Chine au centre du jeu.
Auprès des Échos, Gwénaël Rouillec, directeur de la cybersécurité pour Huawei France, soulignait : « Contrairement à d’autres, nous avons les moyens financiers pour faire [de la cybersécurité] une priorité ». Le Français veut voir dans les accusations qui ont traversé les classes politiques occidentales le signe d’une « accélération de la guerre commerciale ». «C’est un problème géopolitique juge-t-il. Si Huawei installait des portes dérobées sur ses équipements, cela se saurait. »
Or par là, le cadre de l’entreprise semble percevoir la difficulté de la situation dans laquelle se trouve son employeur : quand bien même aucune preuve d’espionnage n’a été donnée, le procès qui lui est fait perdurera parce qu’il n’est pas de nature technique.
« soutenir, coopérer et collaborer »
Les experts le soutiennent depuis plus d’un an : le « problème Huawei » concerne moins le fonctionnement des produits que la loi chinoise. Depuis 2017, cette dernière s’est durcie dans l’intérêt des agences de renseignement nationales : les entreprises de technologies logées sur le sol chinois doivent rendre des comptes au pouvoir central.
le « problème Huawei » concerne moins le fonctionnement des produits que la loi chinoise
Danielle Cave, analyste auprès de l’institut stratégique d’Australie (ASPI), le confirmait en juin 2018 : « C’est la loi chinoise qui rend à Huawei impossible la participation aux réseaux 5G [australiens] écrivait-il, citant là les devoirs de coopérations des firmes chinoises auprès des services de renseignement, « Toutes les organisations et les citoyens doivent, en accord avec la loi, soutenir, coopérer et collaborer avec le travail de renseignement national » » (le texte de loi a été publié en mandarin en juin 2017).
Enfin, Huawei pâtit d’une histoire témoignant d’un lien avec le parti : fondée il y a trois décennies par un militaire, la petite usine de transistor serait devenue un géant industriel chéri par le pouvoir. Le portrait robot de la taupe adorée du parti est trop vite brossé.
Ironiquement, les liens entre Huawei et les agences chinoises furent inspectés au regard des relations passées entre la marque et les agences de renseignement américaines. Il faut un espion pour en reconnaître un, pour paraphraser une expression anglophone. En 2009, parmi les documents rendus publics par Edward Snowden, se trouvait le compte-rendu d’une attaque de la société chinoise par la NSA consulté par le Spiegel.
À l’époque, les espions américains, qui avaient eu accès aux nombreuses données sensibles de l’entreprise, ne semblaient pas parvenir à un consensus quant à la transmission par Huawei de renseignements au gouvernement chinois. Bill Plumer, alors porte-parole de la firme, avait profité de la publication des documents pour mettre en avant la transparence de l’entreprise : « Si c’est vrai, ils [la NSA] nous ont fait ce qu’ils ont toujours accusé les Chinois de faire grâce à nous ».
Car si la NSA n’avait vraisemblablement pas trouvé de preuves d’un lien entre le renseignement chinois et Huawei, elle avait trouvé des codes sources et autres documentations sensibles qui lui ont permis par la suite de surveiller les clients de l’entreprise, notamment les membres du Parti Communiste Chinois pendant plusieurs années.
Heureusement pour la paranoïa et les agences, il restera des épisodes ombrageux dans l’histoire de Huawei : les équipements informatiques du siège de l’Union Africaine, construit par la Chine et équipé par la marque, communiqueront toutes les nuits, pendant cinq ans, leurs données à Pékin. La firme a-t-elle transmis ces données aux services de renseignements ? On peut en douter : les services chinois sont suffisamment compétents pour exploiter les failles du matériel informatique Huawei. Seulement, dans ce cas, Huawei fut soit incompétent, soit cordialement aveugle pendant cinq longues années.
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