Après une élection présidentielle américaine marquée par l’ingérence russe en 2016, les services de renseignements vont avoir fort à faire pour prévenir l’élection de 2020 contre le risque cyber. À l’occasion du Super Tuesday, ils ont publié un premier communiqué qui laisse entrevoir leur positionnement, dans un contexte de polarisation politique inédit.

Campagnes de désinformations, menaces de cyberattaques sur le matériel de vote, déstabilisation… Comment les services de renseignements américains vont-ils s’organiser pendant l’élection présidentielle américaine, après l’épisode très mouvementé de 2016 ?

Ce mardi 3 mars 2020 se tient le « Super Tuesday »,  considéré comme le vrai coup d’envoi des primaires du parti démocrate américain. Plus de deux millions de votants issus de 14 états vont voter pour le candidat qu’ils souhaitent voir affronter le président sortant Donald Trump à l’automne.

La veille de ce rendez-vous électoral d’importance, huit hauts responsables des principaux services de défense et de renseignement américains, dont le FBI et la NSA, co-signaient un communiqué. Ils avertissent la population sur les dangers qui planent sur l’élection : « les Américains doivent rester conscients que des acteurs étrangers essayent encore d’influencer le sentiment du public et de façonner la perception des votants (…). Nous restons vigilants et nous resterons prêts à répondre à tout effort qui viserait à déstabiliser les élections de 2020. » Les représentants préviennent aussi leurs ennemis  : « Nous continuons à faire comprendre aux acteurs étrangers que tout effort d’entrave de notre processus démocratique sera sévèrement sanctionné. »

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Les représentants de huit agences de renseignement ont signé le communiqué : le DOS, le DOJ, le DOD, le DHS, l’ODNI, le FBI, la NSA, et le CISA. // Source : WIkimedia Commons

Les services de renseignements défendent leur impartialité face à Trump

« Ces communiqués installent l’idée que l’élection est un moment de vulnérabilité propice à l’interférence  politique étrangère. C’est relativement nouveau, mais déjà aux mid terms [élections de mi-mandat] de novembre 2018, ils avaient sensibilisé le public vis-à-vis de la désinformation »,  explique à Cyberguerre Raphaël Ramos, historien spécialisé dans le renseignement américain. « C’est le communiqué en tant que tel, plus que son contenu, qui est intéressant »,

Pour le chercheur, les services de renseignement cherchent à prouver leur transparence avec ce message. « Le communiqué est un moyen pour les services de renseignement d’apparaître comme impartiaux, alors que dans le même temps Donald Trump est accusé de politiser le renseignement », développe-t-il.

Donald Trump veut un fervent partisan à la tête du renseignement

Le 19 février, le président américain avait nommé Richard Grenell comme directeur du renseignement national. Il devait avoir pour rôle, dès le 12 mars, d’assurer la coordination entre les 17 principales agences de renseignement du pays et de conseiller le président sur la question. Jusqu’ici ambassadeur des États-Unis en Allemagne, Richard Grennel n’a pratiquement aucune expérience dans le renseignement. En revanche, c’est un fervent défenseur de Trump, qui n’hésite pas à qualifier de fake news les médias critiques de la politique du gouvernement.

Forcément, sa nomination a suscité interrogations et critiques de la part des spécialistes du secteur. « Grenell, depuis le début, est un sniper de l’ultra-droite sur les réseaux sociaux. Il est sans aucun doute aligné avec l’agenda politique de Trump », observait Douglas H. Wise, un ancien dirigeant du renseignement dans le New York Times. « Il n’a pas le genre de parcours et d’expérience que nous attendions pour une position aussi critique », regrettait quant à lui John Siphen, un ancien de la CIA, dans le même article.

L’été précédent, Donald Trump avait échoué à faire nommer au poste de directeur du renseignement national un autre de ses proches, le député John Ratcliffe. Ce dernier l’avait défendu bec et ongles lors des auditions qui ont suivi la remise du rapport du procureur Mueller sur l’ingérence russe lors des élections de 2016.

Mais finalement, après ces rebondissements, c’est bien John Ratcliffe que le président a décidé de nommer au poste de directeur du renseignement national, mettant ainsi fin au court interim de Richard Grenell. Pourtant, ce poste de directeur du renseignement était vu jusqu’ici comme un des postes les moins partisans du gouvernement.

Un conflit avec Trump né dès l’élection présidentielle de 2016

Pour Raphaël Ramos, le communiqué des agences rappelle les événements des élections de 2016, qui ont forgé le difficile rapport entre Trump et le renseignement. « En octobre 2016, ces mêmes services de renseignement avaient publié un communiqué similaire, à propos de l’affaire des emails d’Hillary Clinton. Ils disaient clairement que la fuite d’emails faisait partie d’une campagne de désinformation, et nommaient la Russie. Ils précisaient même que la campagne était impossible à mener sans l’aval des principaux responsables. Sous-entendu, sans l’aval de Vladimir Poutine.

Donald Trump a interprété ces révélations comme une façon de contester la légitimité de son élection. Et c’est de là que sont nés les différents problèmes. » Le président de l’époque, Barack Obama, avait peiné à réagir à ces révélations. « Il défendait que s’il avait pris position, il aurait été trop partisan et aurait influencé l’élection. Il a été critiqué pour ne pas en avoir fait assez », rappelle l’historien.

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