500 000 personnes ont reçu un message d’appel au vote d’une minute de la part d’Agnès Buzyn. Ce démarchage téléphonique, orchestré par Selfcontact, a déjà convaincu de nombreux partis. Reste à savoir comment ont été collectés les 41 millions de numéros de téléphone que revendique l’entreprise.

« Bonjour, c’est Agnès Buzyn, candidate à la mairie de Paris. Je vous remercie de prendre une minute pour écouter mon message ». Dans l’après-midi du vendredi 13 mars 2020, 500 000 personnes ont reçu ce message préenregistré de la candidate la République en Marche (LREM) à la mairie de Paris. Certains se sont plaints de le recevoir alors qu’ils affirment être inscrits sur liste rouge, tandis que d’autres l’ont reçu alors qu’ils ne vivent plus à Paris depuis plusieurs années.

https://twitter.com/buzzologies/status/1238460059727867906

Nous avons appelé un des numéros émetteurs, le 0188335074, pour écouter le message. Pendant 55 secondes, la candidate à l’élection municipale rebondit sur le discours que le président de la République a prononcé la veille au soir, dans le cadre de la pandémie Covid-19. Elle appelle à « tourner la page, une bonne fois pour toutes, d’une politique qui n’a eu de cesse d’opposer les Parisiens ». Une fois son appel au vote terminé, une voix neutre reprend la parole : « La politique de confidentialité est disponible sur le site www.selfcontact.com ».

Le mode de collecte des numéros gardé secret

Nous sommes donc allés sur le site en question, un site même pas protégé par un simple HTTPS : « la sécurité de la navigation sur le Web et la connexion avec le Site Web ne peuvent être garanties. Il appartient à l’Utilisateur/Internaute de sécuriser au mieux sa connexion et ses matériels », concède l’entreprise dans ses conditions générales d’utilisation.

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Macron, Mélenchon, Valls… Buzyn n’est pas la première personnalité politique à utiliser Selfcontact. // Source : Capture d’écran sur selfcontact.com

Selfcontact se présente comme « leader privé européen de la communication électorale et institutionnelle ». Son activité consiste, dans le cadre d’élections, à envoyer des messages vocaux ou des SMS à une partie de sa base de données de 21 millions de numéros de portables, et 20 millions de numéros de fixe. « Présentez votre projet à vos électeurs et diffusez votre message à la totalité de la base de données des N° de téléphones fixes de votre commune » promeut le site.

Les prestataires du prestataire assurent la collecte

Dans son document de politique de confidentialité, l’entreprise précise : « pour mener à bien nos missions, nous utilisons les catégories suivantes de données personnelles vous concernant : nom, prénom, adresse postale, numéro de téléphone, âge. » Selfcontact affirme par ailleurs qu’elle ne transmet pas ces données personnelles aux candidats.

Mais alors, comment a-t-elle constitué de si grandes bases de potentiels électeurs et électrices ? « Nous ne collectons pas vos données personnelles directement auprès de vous, mais auprès de prestataires spécialisés dans la constitution de bases de données dédiées à la prospection électorale », développe le document. Le groupe affirme qu’il s’assure contractuellement que ses prestataires ont des garanties suffisantes pour préserver la confidentialité et l’intégrité des données personnelles.

Quand est-ce que le destinataire du démarchage a-t-il donné son consentement ?

Par ailleurs, elle attribue à ses prestataires la responsabilité du respect du consentement, un des critères essentiels de l’encadrement du traitement de données personnelles par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Voilà ce que Selfcontact écrit : « Ces prestataires doivent avoir obtenu votre consentement pour nous transmettre vos données personnelles. Si vous n’avez pas donné votre accord au transfert de vos données personnelles entre nos mains, ou si vous n’êtes plus d’accord pour que nous les utilisions, nous vous remercions de bien vouloir nous l’indiquer à l’adresse suivante [email protected]. Sous réserve de vérifications complémentaires, vos données personnelles seront dès lors supprimées de nos serveurs. »

L’entreprise met aussi à disposition des internautes l’adresse de son délégué à la protection des données : [email protected].

Selfcontact refuse de préciser la méthode de collecte

Contactée par Numerama, la société Selfcontact confirme les chiffres avancés sur son site quant au volume de données qu’elle possède. Nous demandons des détails sur leur mode d’obtention : « Les numéros sont collectés automatiquement sur Internet par plusieurs prestataires », explique l’entreprise, qui refuse de donner le nom de ces prestataires ou leur méthode de collecte.

Selfcontact nous confirme que la campagne d’appel peut être ciblée selon une zone géographique, et qu’elle dispose donc du nom, du prénom, de l’adresse, de l’âge et du numéro de téléphone des personnes contactées. « Nous avons d’autres données, mais nous ne pouvons pas vous dire lesquelles », ajoute notre interlocuteur.

L’équipe de campagne d’Agnès Buzyn se satisfait des appels

L’équipe de campagne d’Agnès Buzyn, de son côté, confirme son usage du service. Elle donne quelques précisions : la campagne a été envoyée à 500 000 personnes, et doit viser les personnes de plus de 18 ans, qui habitent à Paris. « Nous avons un taux d’écoute du message de 80 % en moyenne, c’est le meilleur résultat jamais obtenu par Self Contact », se félicite notre interlocutrice. D’après BFM TV, le prix de l’opération équivaudrait à celui d’un « gros meeting ».

Les équipes de campagne d’En Marche sont habituées du service, et se satisfont de son efficacité. Le président Emmanuel Macron y avait déjà fait appel en 2017 pour l’élection présidentielle. Mais il n’est pas le seul : Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) l’a utilisé pour soutenir Manon Aubry lors de l’élection européenne de 2019. D’après Ouest-France, le candidat à l’élection municipale rennaise Emeric Salmon (Rassemblement national) a aussi dépensé 20 000 euros dans le service, à la fois pour des appels, mais aussi pour des SMS.  ​

Dans son enquête sur les comptes de campagne d’Emmanuel Macro, l’Obs avait révélé que l’actuel président avait obtenu un rabais de plus de 60 000 euros (sur un prix de base de 264 000 euros) de la part de Selfcontact. Son message vocal avait été envoyé à plus de 6 millions de numéros.

Selfcontact garantit à ses clients l’exclusivité de son service pour l’élection concernée, et donne une priorité sur son usage au second tour. Il est donc possible qu’Agnès Buzyn vous rappelle la semaine prochaine, même si vous ne vous souvenez pas avoir donné votre autorisation pour un démarchage politique.

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