Une peine d’emprisonnement de cinq ans, une amende de 100 000 euros et le maintien en détention. Lundi 7 décembre, la première section de la 13e chambre du tribunal judiciaire de Paris, chargée de juger les affaires de délinquance astucieuse, a enfin rendu sa décision dans l’emblématique affaire Alexander Vinnik, un temps au cœur d’un bras de fer diplomatique entre la France, les États-Unis et la Russie. Un délibéré donné oralement — la décision écrite, qui sera assortie des motivations, n’a pas encore été communiquée aux parties — qui s’apparente, estime un des avocats parties civiles, Me Grégory Levy, à « un jeu d’équilibriste ». Explications.
Alexander Vinnik, surnommé « Mr Bitcoin », a en effet été relaxé de 13 chefs de prévention sur 14. Le tribunal l’a donc innocenté sur toutes les infractions de cybercriminalité liées à Locky, un rançongiciel qui avait raflé, selon l’enquête, plus de 20 000 bitcoins dans le monde. La responsabilité d’Alexander Vinnik est écartée pour les infractions relatives à la modification, l’introduction, l’atteinte et l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données ou à un système de traitement automatisé de données mis en œuvre par l’État. De même, le russe de 40 ans est relaxé pour les faits d’extorsion, de tentative d’extorsion et de participation à une association de malfaiteurs.
Seule et majeure victoire pour l’accusation, le tribunal a estimé par contre qu’Alexander Vinnik est bien coupable de blanchiment aggravé. « Votre implication dans ces opérations de blanchiment constitue des faits graves eu égard à [leur] organisation structurée et à [leur] caractère international », a expliqué à l’audience la présidente de la 13e chambre. Le délibéré ne peut faire que des déçus. Pour la défense, Alexander Vinnik, déclaré coupable d’une infraction, est toujours incarcéré. Et pour l’accusation, si la condamnation est significative, elle est bien moindre que celle demandée. La cheffe de la section spécialisée dans la cybercriminalité du parquet de Paris, Johanna Brousse, avait requis dix ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
Pas de première historique
Alexander Vinnik n’est donc pas, malgré les efforts des deux services d’enquêtes mobilisés dans cette affaire (les cybergendarmes de Bordeaux et la brigade spécialisée de la préfecture de police de Paris) le premier ressortissant étranger condamné en France pour avoir eu un rôle majeur dans des attaques informatiques par rançongiciel. « Les victimes sont dépitées, elles comprendront peut-être les raisons de ce jugement à la lecture de la décision », observe Me Jeanne Baechlin. La conclusion du procès était également guettée par la magistrate Myriam Quéméner, une des spécialistes françaises de la cybercriminalité. « Cette affaire avait été un exemple de coopération internationale et mobilisé aussi bien les services d’enquête que la justice », rappelle-t-elle.
« Nous nous attendions à un procès se focalisant sur Locky, ce rançongiciel ayant fait d’importants dégâts en France, cela se termine comme une affaire plus classique de blanchiment », remarque pour sa part Loïc Guezo, le secrétaire général du Clusif, une association de professionnels de la cybersécurité. Et de préciser, sans se prononcer sur le fond du dossier, que les professionnels de la sécurité informatique « connaissent bien la difficulté des entreprises à porter plainte et à fournir à la justice des éléments techniques recevables.»
« Le courage de la relaxe »
Après avoir identifié Alexander Vinnik comme le destinataire de 76% des rançons payées, les juges en charge de l’affaire en avaient déduit qu’il était donc le principal responsable de la diffusion du rançongiciel Locky. Ce raisonnement n’a pas convaincu le tribunal. Pour Me Grégory Levy, qui représentait à l’audience deux avocats victimes du rançongiciel, la décision sonne comme « un camouflet pour l’enquête ». « Le tribunal a eu le courage de prononcer des relaxes », qui ont eu pour effet de débouter de leurs demandes ses deux clientes, salue l’avocat, sportif.
« L’accusation pensait tenir dans cette affaire le cerveau d’un rançongiciel, mais les preuves ont manqué: les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis », constate Me Grégory Levy. Et de rappeler que les faiblesses du dossier — les enquêteurs avaient échoué notamment à identifier l’organisation criminelle derrière Locky — avaient été pointées à l’audience par la défense. « L’instruction s’est peut-être un peu trop reposée sur les éléments d’enquête fournis par les autorités américaines et grecques », s’interroge enfin l’avocat.
Ce point a d’ailleurs été de nouveau soulevé à l’issue de la lecture du délibéré par l’un des trois avocats d’Alexander Vinnik, Me Frédéric Belot. Pour le moment, à notre connaissance, ni la défense ni le parquet n’ont fait appel du jugement. Alexander Vinnik a jusqu’à mercredi 16 décembre pour contester la décision, un délai augmenté de dix jours pour le parquet. Son marathon judiciaire n’est cependant pas terminé : il est toujours suspecté par la justice américaine, qui attend son extradition, d’avoir blanchi au moins quatre milliards de dollars.
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