« Salutations, citoyens du monde. Ceci est un message d’Anonymous pour Elon Musk ». Le 5 juin 2021, la chaîne YouTube Anonymous a publié une vidéo à charge contre le milliardaire. Pêle-mêle, un individu face caméra attaque l’entrepreneur sud-africain sur les conditions de travail des employés de ses sociétés (Tesla et Space X), son attitude sur les réseaux sociaux ou encore ses positions sur le bitcoin. « Vos tweets de cette semaine exposent un vrai dédain pour le travailleur moyen : des personnes qui travaillent dur voient leurs rêves liquéfiés par vos accès de colère publics. Vous continuez à les moquer avec vos mèmes depuis une de vos maisons à plusieurs millions de dollars », lance-t-il.
L’individu encapuchonné conclut la vidéo par une menace à demi mots : « Vous pensez que vous êtes la personne la plus intelligente, mais vous avez maintenant rencontré un adversaire de taille. Nous sommes Anonymous, nous sommes légion ! Attendez-vous à notre action. »
Depuis, plusieurs comptes très suivis comme @YourAnonCentral (6 millions d’abonnés sur Twitter) ou la page Facebook Anonews.co (11 millions d’abonnés) relaient régulièrement la vidéo… et appellent à s’abonner à la chaîne YouTube.
Habituellement, Anonymous revendique le piratage d’un réseau ou la publication de données confidentielles avant de faire éventuellement part de ses motivations. C’était par exemple le cas l’an dernier lors de la fuite des données de la police de Minneapolis. Mise en ligne suite au meurtre de George Floyd par un policier, elle avait ensuite été revendiquée en vidéo. On parle alors d’hacktivisme, ici pour soutenir le mouvement Black Lives Matter. Mais cette fois, Anonymous ne fait — du moins pour l’instant — qu’organiser une campagne de communication à charge contre le milliardaire. Et ses menaces floues ne semblent pas avoir été mises à exécution.
Anonymous, un mouvement plutôt qu’une organisation
« Cringy », « gênant », « ridicule », dans le milieu de la cybersécurité, la vidéo est moquée quand elle n’est pas simplement ignorée. Il faut dire que sa mise en scène tire jusqu’au bout de la ficelle des stéréotypes de hackers.
Dès son apparition au début des années 2000, le mouvement a fait du masque de Guy Fawkes, mis en avant par le film V for Vendetta, son symbole. Mais aujourd’hui, la version réseaux sociaux d’Anonymous va bien plus loin dans les lieux commun : sweat à capuche, voix trafiquée pour être plus grave, lettres vertes sur fond noir pour évoquer Matrix et le code informatique… Ces codes maintiennent la place du mouvement dans l’imaginaire collectif, mais ils ne servent pas sa crédibilité.
« N’importe quelle personne qui veut créer une vidéo au nom d’Anonymous peut le faire », expliquait l’an dernier à Brut l’anthropologue Gabriella Coleman, spécialiste du sujet. Et pour cause : à son origine, Anonymous n’est pas une organisation, c’est un mouvement décentralisé, sans hiérarchie. Un rassemblement hétérogène, ponctuel, pour défendre des causes sociales comme Occupy Wall Street ou Black Lives Matter… C’est un nom et des symboles que des hackers indépendants peuvent attacher à leurs coups d’éclat pour faire référence à certaines valeurs comme la liberté d’internet ou la lutte contre les abus de pouvoir des plus riches. Le mouvement n’a, en principe, pas de représentant, et on ne peut pas évaluer ses effectifs.
L’Anonymous des réseaux sociaux est-il le vrai Anonymous ?
Problème : cette conception d’Anonymous paraît incompatible avec sa présence sur les réseaux sociaux. Par exemple, la chaîne YouTube Anonymous est certifiée par la plateforme, comme celle de n’importe quelle organisation officielle pourrait l’être. Pour obtenir le précieux badge bleu, il faut avoir 100 000 abonnés et « être authentique », c’est-à-dire que la chaîne doit prouver qu’elle représente l’entité qu’elle prétend être. En d’autres termes, YouTube a officialisé les administrateurs de la chaîne comme porte-parole du mouvement.
Les personnes qui tiennent la chaîne renvoient à la page Facebook Anonews.co, et YourAnonCentral relaie régulièrement leurs contenus. Ces comptes ont créé une véritable marque, avec un logo, un slogan (« nous sommes légion ») ou encore des phrases signatures. « Salutations citoyens du monde » est leur version de la phrase d’accroche de tout vidéaste connu de la plateforme, à l’instar du « yo tout le monde c’est Squeezie ».
Le « branding » de la chaîne va encore plus loin. Les vidéos utilisent une construction qui rappelleront à certains les best of de jeux vidéo : une intro avec des bruits de tonnerre, et une animation pour amener le logo de façon dramatique ; une musique épique et un logo apparent tout du long pour accompagner le discours, et une outro avec le défilement de tous les réseaux sociaux et marques Anonymous.
Sur la page Facebook — elle aussi certifiée –, les « représentants » du mouvement publient principalement des pages de bande dessinée ou des mèmes anti-système. On y trouve un discours anti-média, une critique des riches ou encore des citations inspirantes sur le pouvoir des gens unis pour une même cause. Ce contenu taillé sur mesure pour le réseau social est entrecoupé de quelques informations sur les coups d’éclat du mouvement, et de relais d’articles de presse sur les débordements de la police ou des affaires très suivies, comme la mort de Jeffrey Epstein.
Et Elon Musk dans tout ça ?
Vous l’aurez compris, les auteurs de la vidéo sont avant tous des communicants. Autrement dit, ce n’est pas la personne devant la caméra qui va hacker des documents confidentiels sur Elon Musk. En réalité, leur vidéo fonctionne plutôt comme un appel à s’en prendre à Musk et ses sociétés. Va-t-il être suivi ? La marque « Anonymous » est très présente dans l’imaginaire collectif, et le message a été relayé massivement.
Mais passé cette première question, d’autres se posent immédiatement : est-ce que des personnes suffisamment compétentes vont chercher à s’en prendre au milliardaire ? Que vont-elles chercher à déterrer à son sujet, sachant que les moindres faits et gestes du Sud-Africain sont déjà scrutés à la loupe ?
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