Ce mardi 4 avril, le drapeau de la Finlande va flotter au côté de la France – les pays sont alignés dans l’ordre alphabétique – au siège de l’OTAN à Bruxelles. La fin du non-alignement pour cet État nordique qui prend toutes les précautions pour se protéger de la Russie, le grand voisin.
À Helsinki, on ne veut pas être pris en pitié par l’Alliance, au contraire, les représentants du pays nordique veulent prouver aux autres membres qu’ils seront une puissance parmi les autres. La Finlande dispose effectivement de nombreux atouts : un service militaire obligatoire, une armée de 280 000 réservistes et un titre de champion cyber de l’OTAN. Le pays avait fini premier d’un exercice de cyberdéfense de l’Alliance alors qu’il n’était encore qu’invité.
Chaque année, en avril, l’organisation militaire réunit tous les membres pour se tester lors d’une simulation massive de cyberguerre, baptisée Locked Shield. Les combattants de chaque pays doivent sauver des infrastructures fictives soumises à une série d’offensives. Après trois journées d’intenses batailles virtuelles, l’équipe finlandaise s’en est le mieux tirée parmi les 33 participants pour bloquer les vagues de cyberattaque.
Rien d’étonnant, vous répondront les experts en cyber. La Finlande, comme d’autres pays nordiques, fait partie de ces puissances discrètes de la tech. Les Finlandais sont d’ailleurs en concurrence avec leurs voisins du nord pour être les leaders européens du secteur : la Finlande est le deuxième État avec la plus grande proportion de spécialistes en informatique, derrière la Suède, et se classe deuxième dans l’UE avec l’indice de société numérique le plus élevé, derrière le Danemark.
Si la population finlandaise partage l’amour du design et des meubles confortables avec les Scandinaves, elle se plait également à travailler dans le cyberespace. La Finlande est – avec les Pays-Bas – le pays où la population est la mieux formée au numérique en Europe. « Nous n’avons pas de géant mondial des produits, hormis Nokia – qui est surtout devenu un équipementier – mais nous avons un fort vivier de diplômés, de spécialistes et de compétences dans la tech », nous indique Sauli Pahlman, directeur du centre national de cybersécurité finlandais – « les pompiers » du pays en cas d’attaque. WithSecure et SSH Communications Security sont deux entreprises finlandaises historiques, ayant contribué à de nombreux développements dans la cyber.
Une forte éducation aux bons gestes numériques
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Du gestionnaire de mots de passe à la sécurisation des e-mails en passant par la formation continue ou les simulations d’attaques, cette solution regroupe tous les outils pour prévenir les risques cyber.
« La Finlande a comme de nombreux pays, subi une forte augmentation des cyberattaques, notamment des campagnes de phishing entre 2020 et 2022 au plus fort de la période du covid. Les actes de piratage informatique ont été multipliés par huit depuis 2019 », raconte Sauli Pahlman. « La différence entre la Finlande et les autres pays ? Une meilleure coopération entre le secteur privé et public. Elles communiquent énormément avec nous, et inversement, pour améliorer l’environnement cyber à travers le pays. Nous travaillons également à prévenir et éduquer la population à se protéger », ajoute-t-il.
Dans ce pays de 5,5 millions d’habitants, les institutions étatiques ont pour habitude de communiquer régulièrement avec la population. En 2021, une application nommée 112 Suomi a été lancée pour que les cyberincidents ou les arnaques soient rapidement signalés aux autorités. Des spots d’information ont été diffusés au moment des journaux télévisés à destination des personnes âgées, afin que celles-ci ne tombent pas dans le piège de l’hameçonnage.
Une équipe de l’université d’Aalto, l’une des meilleures sur le continent dans le domaine cyber, est d’ailleurs chargée par l’Union européenne depuis février dernier de fournir un « package » de conseils, de méthodes d’enseignement à destination des citoyens de l’UE. Le projet doit aboutir au lancement d’un site ouvert à tous, pour apprendre les bons gestes en termes de protection informatique.
Autre initiative des membres du secteur privé : une association composée d’une trentaine d’experts en cyber, baptisée KyberVPK, s’est donnée pour mission d’aider bénévolement les entreprises et institutions à mieux se défendre contre les cyberattaques. Anu Laitila, membre de cette organisation et spécialiste cyber, nous raconte la genèse du projet. « En 2020, des établissements hospitaliers ont subi une fuite d’informations alors que le pays était en pleine crise du covid. Avec plusieurs amis, nous étions exaspérés que des hackers s’attaquent aux institutions publiques dans un moment aussi difficile. Nous nous sommes réunis entre employés du domaine cyber pour rapidement créer cette association et apporter notre expertise. »
KyberVPK est régulièrement sollicitée par des petites entreprises, des établissements scolaires pour obtenir quelques recommandations afin d’améliorer la protection du système informatique. Anu Laitila intervient également dans l’Association de formation à la défense nationale de Finlande, une organisation à moitié encadrée par l’État et chargée de maintenir un entrainement militaire dans le pays.
« La menace [russe] a toujours été là »
Cet Éden technologique n’a jamais abandonné l’éducation martiale et avec un voisin comme la Russie, la population préfère être prête en cas de conflit armé. Le Kremlin a déjà envahi la Finlande par le passé. Maintenant que l’Ukraine fait de nouveau les frais de l’impérialisme de Moscou, les Finlandais n’excluent pas l’hypothèse d’être les suivants sur la liste.
« La menace a toujours été là. Il y a eu des tentatives de désinformation, de chantage, de nous faire croire qu’il vaut mieux se ranger derrière la Russie dans ce conflit, mais la population n’est pas dupe. Lorsque des fausses informations étaient diffusées, par exemple, sur le manque de denrées, les Finlandais se sont rendus d’eux-mêmes dans les rayons des supermarchés pour prendre des photos et prouver sur les réseaux sociaux qu’il n’y avait aucune pénurie », nous raconte Anu Laitila.
Il aura suffi de trois mois de guerre menée par la Russie en Ukraine pour que le pays des mille lacs, historiquement neutre, change de position et présente sa candidature à l’OTAN. L’entrée dans l’Alliance est d’ailleurs une évidence pour les officiels finlandais, qui n’emploient jamais le conditionnel sur ce sujet.
« Quand nous serons membres de l’OTAN, nous prendrons entièrement part à la défense cyber de l’organisation, affirme Jarmo Sareva, ambassadeur pour l’innovation aux ministères des Affaires étrangères finlandais. Nous disposons d’une forte expertise dans la protection informatique des infrastructures. Cette guerre donne l’occasion à chacun de tester ses atouts et l’Alliance a tout à gagner à accepter notre pays. Nous sommes aussi conscients de nos moyens, notre armée serait dans une meilleure position si elle était intégrée dans une organisation comme l’OTAN. »
La Finlande a déjà subi deux attaques par déni de service – une multitude de connexions pour saturer un serveur – sur les sites du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense, le jour où le président ukrainien donnait un discours en visio devant les députés finlandais. « Rien de grave, mais c’est un message politique », nous dit calmement Jarmo Sareva.
Des discussions sont en cours
La Finlande est certainement capable de bloquer une opération de piratage sophistiquée contre une infrastructure à elle toute seule, cependant la situation deviendrait plus tendue si une vague de cyberattaque s’abattait sur le pays. « L’Ukraine se défend bien sur le plan cyber, mais elle est noyée sous les attaques. À un moment donné, 18 organisations nationales ont été simultanément touchées. Avec nos 40 employés au centre national de cybersécurité, on ne pourrait pas contenir une telle offensive », confie Sauli Pahlman. « À moins que nous disposions de renforts conséquents comme l’OTAN ou une armée informatique de volontaires, comme l’Ukraine en ce moment », ajoute-t-il.
Depuis ce 4 avril, la Finlande pourra enfin compter sur la machine Atlantiste pour la soutenir, mais à Helsinki, on garde ce flegme nordique, même pour une journée historique. En 2022, la nation nordique était classée pays le plus heureux au monde pour la cinquième année consécutive, malgré le covid et une frontière de 1 340 km avec la Russie. Le pays des mille lacs a peut-être d’autres choses à nous apprendre, autres que de savoir protéger son ordinateur.
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