Jean-François Copé a remis mercredi les propositions de la Commission « Pour la nouvelle télévision publique », qui préconise de taxer le chiffre d’affaires des télécoms pour financer le manque à gagner de la disparition de la publicité sur les chaînes de télévision du service public. Alors que la Commission préconise un taux de prélèvement de 0,5 %, La Tribune assurait ce matin que le Président de la République Nicolas Sarkozy pourrait exiger une taxe plus importante, de l’ordre de 0,8 ou 0,9 %. Ce qui est loin d’être insensible, et pourrait représenter une manne de 336 à 378 millions d’euros.
Les FAI et les opérateurs mobiles ne sont pas contents du tout de cette hausse surprise, et du principe de la taxation qu’ils avaient accepté au bout d’une négociation improvisée avec le Président de la République. Puisqu’il n’est pas question d’augmenter la redevance en période de crise du pouvoir d’achat, Nicolas Sarkozy a dû trouver une nouvelle piste. Celle qu’il avait avancé de taxer la publicité des chaînes privées a été rapidement abandonnée (« entre amis, ça ne se fait pas« , a dû lui dire en substance Martin Bouygues). En bon politique, le Président sait que pour pouvoir prendre, il faut donner. Il a donc donné sa parole aux opérateurs télécoms s’ils acceptaient le principe d’une taxe. Celle que Free n’aurait pas accès facilement à la licence 3G qui lui était promise, et qui risque de déstabiliser le marché bien tranquille que se partagent le trois opérateurs en place. Chose promise, chose due. Le dossier est repoussé à 2009, et les fréquences seront divisées par lots pour limiter la casse.
Dociles et conscients que lutter contre le piratage les aideraient à vendre des abonnements à leurs propres services de contenus premium, les fournisseurs d’accès à Internet avaient aussi accepté de signer les Accords de l’Elysée concoctés par Denis Olivennes, qui fixaient le principe de la riposte graduée. Dans les mois qui ont suivi, les FAI ont pris un soin tout particulier à ne pas s’exposer sur le dossier, en laissant le gouvernement et les industries culturelles se mettre en première ligne. Dire à ses clients abonnés qu’on joue contre eux ne fait pas bon genre. Ils ont donc laissé faire le projet de loi Hadopi en intervenant le moins possible.
Mais mercredi, l’Association des fournisseurs d’accès (AFA) et Free qui n’en est pas membre, ont publié un communiqué commun par lequel ils « regrettent que le projet de loi ‘favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet’ contienne des dispositions qui pourraient remettre en cause l’équilibre trouvé par les Accords de l’Elysée« . Les opérateurs ont attendu que Christine Albanel présente son projet de loi pour le descendre en bonne et due forme.
« Force est de reconnaître, sept mois après la signature que le volet sur les offres légales est au point mort et que le dispositif aujourd’hui proposé pour lutter contre le téléchargement illégal va au delà des engagements des parties sur plusieurs points, en pénalisant à l’excès les internautes et leurs fournisseurs« , indiquent les FAI.
Les reproches des FAI au projet de loi Hadopi
En cause, tout d’abord, la création par le projet de loi d’une procédure de référé judiciaire pour imposer aux FAI la mise en œuvre de mesures de filtrage de l’accès à des contenus portant atteinte aux droits d’auteur. Dans l’accord signé par les FAI, il n’était question que d’une expérimentation d’ici fin 2009, et d’une extension possible que sous des conditions qui, concrètement, ne pourront jamais être réunies (succès de l’expérimentation, faisabilité technique de la généralisation, et faisabilité financière).
Sur la riposte graduée, les FAI demandent à ce que la gradation des sanctions (avertissement par e-mail, puis lettre recommandée, puis sanction) soit inscrite noir sur blanc comme étant la règle, et non pas une simple faculté de la Haute autorité administrative chargée de mettre en œuvre la loi. De plus, ils demandent au regard du respect des droits de la défense à ce qu’un recours soit possible pour les abonnés, dès le premier avertissement par voie électronique – actuellement le projet de loi ne prévoit de recours qu’au stade de la suspension de l’accès à Internet. Ils rappellent à ce sujet que le recours judiciaire en cas de suspension n’est pas lui-même suspensif, ce qui est ridicule étant donné le temps judiciaire. L’accès aura été rétabli avant que l’abonné ait été entendu à sa demande par un juge. Enfin, aucun dispositif d’accueil des internautes avertis n’est prévu pour répondre à leurs questions, demandes ou contestations.
Tout comme le régulateur des télécoms et le Conseil d’Etat, les fournisseurs d’accès demandent un délai avant que la loi n’entre en vigueur, le temps de préparer leurs infrastructures aux cas de suspension de l’abonnement. A ce sujet, ils réclament « une certaine souplesse quant à son contour précis », la loi ne disant pas explicitement ce qui se passe si la coupure d’accès à Internet entraîne la coupure des services de téléphonie ou de télévision, ou s’il est possible de garder l’accès à des communications de plus en plus essentielles pour les citoyens, comme les mails ou l’accès aux services publics en ligne. Le projet de loi ne dit pas non plus qui doit prendre en charge les frais supportés par les opérateurs.
Enfin, comme Numerama le répète sans relâche depuis la signature des Accords de l’Elysée, les FAI découvrent que « la signature des accords de l’Elysée par les fournisseurs d’accès supposait en échange que les internautes aient accès à des offres légales compétitives, les dissuadant de pirater« . « Or, les négociations avec les ayants droits, tant sur la chronologie des médias que sur l’ouverture des catalogues, restent suspendues à l’adoption de la loi et le temps passe sans que rien n’évolue« .
Les FAI, en somme, ont peur de devenir les dindons de la farce, obligés de financer la vieille télévision publique, de participer à la répression de leurs clients pour soutenir une industrie culturelle moribonde, sans avoir de réel bénéfice en retour.
C’est le premier grand couac public depuis la signature des accords en novembre 2007. Si les critiques se concentrent sur la marge, les pouvoirs publics et les industries culturelles sont prévenues. Il faudra faire des efforts s’ils veulent avoir le soutien des FAI lorsque la loi sera étudiée au Parlement à l’automne.
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