En octobre 2007, un tribunal de Madrid avait jugé que les administrateurs du site de liens eDonkey Sharemula.com n’étaient pas responsables pénalement du fait de publier des liens pouvant permettre aux utilisateurs d’eMule de télécharger des films, de la musique ou des logiciels. Sans surprise, un appel avait toutefois été interjeté, mais il vient d’être rejeté. La cour d’appel de Madrid a en effet confirmé dans une décision de 24 pages le jugement de première instance, en estimant que parce que le site n’héberge pas lui-même les fichiers contrefaits, et parce qu’il ne peut pas savoir si les fichiers sont effectivement mis en partage, Sharemule ne peut pas être condamné.
Nous avions décrit dans un article de 2005 la différence, selon nous essentielle, entre deux types de liens qui n’ont pas du tout les mêmes implications juridiques. D’un côté l’URL (Uniform Resource Locator), qui est utilisé notamment pour désigner l’adresse des pages web, et qui permet de savoir à coup sûr où se trouve un contenu et de vérifier sa disponibilité. Ce type de lien-là engage la responsabilité de celui qui le publie. D’un autre côté l’URI (Uniform Resource Identifier), qui est utilisé sur les liens P2P, et qui ne permet pas en lui-même de savoir où se trouve un contenu et de savoir s’il est bien disponible, mais uniquement d’identifier le contenu visé. En effet, un lien P2P tel qu’un lien eMule ne renvoie pas vers les adresses des utilisateurs d’eMule qui possèdent le fichier, mais indique simplement à eMule de quel fichier il s’agit (grâce à une signature numérique unique), à charge ensuite pour le logiciel et son protocole d’interroger chacun des utilisateurs pour savoir qui le possède et d’initier éventuellement le téléchargement. Il est tout à fait possible de gérérer une URI sans que le fichier ne soit jamais partagé, et donc sans engager la responsabilité de celui qui diffuse le lien.
Puisque la publication d’une URI n’est pas en elle-même constitutive d’une contrefaçon, mais permet simplement d’identifier un contenu contrefait, Sharemula (qui n’héberge pas les fichiers) n’est pas responsable de sa distribution.
Parmi les plaignants figuraient les représentants de l’industrie du disque espagnole, Microsoft, et tous les grands studios de cinéma (Columbia Tristar, Walt Disney, 20th Century Fox, Universal Pictures, Sony Pictures, Tristar, MGM, Paramount, Time Warner, New Line…).
Vers une modification de la loi ?
Sans doute seront-ils déçus, au minimum, de la décision (même si l’on a vu que la décision de première instance n’a pas fait plongé l’industrie du disque en Espagne, loin s’en faut). Il est vrai qu’elle est socialement très contestable, à défaut de l’être juridiquement, d’autant que Sharemula est rempli de publicités qui témoignent de son caractère purement commercial, et que le site a un rôle actif dans le classement des liens en rubriques, avec pour chaque contenu des fiches détaillées. Sans les contenus visés par les liens et produits par les plaignants, le site ne réaliserait aucun bénéfice, et n’existerait pas. Il est donc logique que les ayants droit cherchent, au pire à le faire fermer, au mieux à obtenir une part des bénéfices. Le fait qu’ils n’obtiennent ni l’un ni l’autre ne peut satisfaire personne, sauf les plus extrêmistes des P2Pistes et des opposants au droit d’auteur.
Autant la décision allemande d’immuniser les serveurs eDonkey qui n’ont aucun rôle actif dans la distribution ou la mise en avant des contenus piratés est incontestable, autant celle de blanchir les sites qui proposent des liens vers des contenus piratés en toute impunité suscite un débat beaucoup plus profond. Elle devrait en tout cas encourager une modification législative en Espagne… à supposer qu’un texte de loi puisse trouver une solution équilibrée et efficace.
Le simple fait de publier une URI qui identifie la signature numérique d’un fichier peut-il être condamné, et sur quels fondements ? Le casse-tête, qui devra être résolu à l’échelle européenne, promet d’être complexe.
C’est parce qu’il semble insoluble que la solution de la licence légale (globale), qui fait reposer la responsabilité financière collectivement sur les épaules des utilisateurs, a été proposée. C’est aussi dans cette logique que la riposte graduée, qui fait peser individuellement la responsabilité pénale sur les épaules de quelques P2Pistes, est actuellement étudiée.
La décision, en attendant, pourrait avoir des répercussions sur d’autres affaires en cours, particulièrement en Suède. Dans un contexte législatif très similaire, la justice suédoise devra en effet décider dans les prochains mois si le site de liens BitTorrent The Pirate Bay, qui a un rôle moins actif encore dans la mise en avant des contenus (ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui publient et classent les liens), est oui ou non responsable des actes de piratage des utilisateurs de BitTorrent.
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