Bonjour Joseph Paris. Vous avez fondé Ralamax Prod qui produit des films sous licence libre. Comment est né ce projet ?
J’ai d’abord suivi une formation d’acteur au départ, en faisant La Scène sur Saône à Lyon, qui est sous le parrainage de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. Et puis je me suis penché sur la nécessité pour moi et pour d’autres de disposer de notre propre structure de production, et j’ai été curieux de savoir si l’esprit des logiciels libres pouvait s’appliquer à l’art. Pour l’anecdote, c’est simplement en essayant « art+libre » sur Google que j’ai découvert Copyleft Attitude, puis les Creative Commons.
La structure Ralamax Prod est née avec la sortie du « Bal des Innocents« , mon premier film, le premier de Ralamax Prod et aussi la première initiative de long métrage français sous Creative Commons. Nous sommes parti au début du principe que le téléchargement peut-être une force pour les artistes, si on sait l’utiliser, ne serait-ce qu’a minima comme une force de promotion. Ainsi nous avons fait le choix des licences libres (ou ouvertes) pour donner un cadre légal à la diffusion libre de nos œuvres.
Beaucoup prétendent que les licences libres ne peuvent pas financer le cinéma. Quel budget a nécessité un film comme le Bal des Innocents ?
Le Bal des Innocents a été tourné avec rien du tout, la caméra était cassée, tout nous a été prêté mais l’expérience que j’en tire c’est quelques 50.000 téléchargements (hors eMule) les premiers mois pour un premier film. Il y a peu de jeunes réalisateurs qui arrivent à ce nombre de spectateurs, nous avons donc vérifié l’hypothèse du téléchargement libre comme force de promotion.
Comment avez-vous réussi à le faire connaître pour obtenir autant de téléchargements ?
Nous avons présenté le film en avant première, donc avant-même sa diffusion sur le web, rue des frères Lumière à Lyon, le lieu de naissance du cinéma, le 29 juin 2006. C’était aussi un jour tristement célèbre pour l’adoption de la loi DADVSI par le Sénat, donc nous avions eu quelques coupures presse à l’époque dans Allociné, Cinélive, L’Express… et les médias locaux à Lyon. Le bouche à oreille à dû compter énormément aussi.
Vous n’envisagez donc pas le cinéma comme une profession, ou vous pensez qu’un modèle économique viable existe pour les cinéastes avec le cinéma libre ?
Précisément ! On vient de dire ce qu’était Ralamax Prod au début, l’idée de base. Mais aujourd’hui, nous avons deux démarches principales. Premièrement, on veut inventer et faire valoir un nouveau modèle économique pour le cinéma libre ayant pour objectif d’assurer la production de créations non formatées, et d’améliorer la rémunération des artistes. Deuxièmement, nous voulons favoriser la création collaborative, notamment au travers de Varsovie-Express, un long métrage collaboratif et libre.
Nous avons travaillé avec l’aide et le conseil de plusieurs personnes dont Jacques Attali, sur les bilans de plusieurs expériences comme Nine Inch Nails, en en s’appuyant sur les conclusions de plusieurs rapports sur l’économie du cinéma, principalement celui du Club des 13. Et nous sommes arrivés à plusieurs propositions pour un nouveau modèle libre et équitable.
Nous avons exposé quelques unes de ces pistes de réflexion dans notre contre-appel sur la loi Hadopi. D’une part nous pensons que pour le format long métrage, la sortie en salle est à remettre au centre de l’exploitation, et pas seulement comme produit d’appel comme le font les majors (qui souhaitent surtout vendre des DVD et des droits TV, ndlr). La chronologie des médias est une idée anachronique, il faut en finir. Nous pensons que la sortie d’un film sur Internet participe à sa promotion en salle, et nous avons de nombreux exemples de réalisateurs et producteurs ayant remercié les pirates d’avoir mis leur film à disposition, sans quoi leur sortie en salles serait passé inaperçue.
Nous pensons que regarder un film dans une salle sombre ou devant un ecran de PC ne constituent pas les mêmes démarches ; d’ailleurs les chiffres du CNC de fréquentation des salles depuis 2006 vont dans ce sens.
Ensuite, nous pensons que la grande distribution de DVD est un modèle périmé : pourquoi payer 9 euros un DVD d’une qualité médiocre quand on peut avoir le même film gratuitement sur internet ? Il faut privilégier l’édition collector de DVD plus chers, mais plus beaux, avec plus de contenus exclusifs, et vendus en édition limitée, avec éventuellement la signature de l’artiste ou de l’interprète principal. C’est un modèle que le milieu de l’art contemporain exploite déjà depuis un moment, avec succès. La libre diffusion du film sur internet ajoute une plus-value.
Mais les complex de cinéma ne diffuseront pas les films libres si ils ne sont pas distribués par les grands distributeurs du cinéma contrôlés par les majors… ?
Ca va prendre du temps c’est sûr, il va falloir convaincre. Mais il ne faut pas oublier que d’un autre côté ils voient leur ancien modèle s’effriter… le changement ne se fait jamais du jour au lendemain, mais il se fera.
Nous expérimentons un nouveau modèle de production avec Varsovie-Express. Lorsque le film se présentera aux distributeurs il sera accompagné de toute sa communauté. C’est le seul film qui va exister auprès du public bien avant sa sortie. C’est un argument pour convaincre les distributeurs.
Parlez-nous justement du mode de production de Varsovie Express. Avec quels moyens humains et financiers est-il produit, pour quelles « prétentions » artistiques ?
Varsovie-Express est un projet de long métrage collaboratif et libre. Il est réalisé intégralement avec une communauté d’artistes sur Internet sous la direction artistique de Ralamax Prod. Toutes les phases créatives sont ouvertes à participation : scénario, repérages, storyboard, bande originale…
Côté production, le film coûte un peu moins d’un million d’euros, ce qui est un très petit budget quand on sait que le budget moyen d’un long métrage en France est à 5 millions. Nous allons pour cela associer deux sources de financements, les financements publics naturellement à travers le CNC (Centre National de la Cinématographie, ndlr), et la participation des internautes.
Le site du film va ré-ouvrir prochainement avec une nouvelle interface et la possibilité pour les internautes d’investir sur le film et d’obtenir ensuite une rémunération sur recettes après la sortie en salle, au prorata de leur investissement. C’est un modèle qui, s’il fait ses preuves, va je pense s’imposer dans le cinéma français.
Mais on voit que MyMajorCompany qui fonctionne sur le même modèle pour la production musicale a dû s’associer à Warner Music pour la distribution de ses artistes. Comment allez-vous garantir votre indépendance?
MyMajorCompany fait les choses à moitié. D’un côté ils expérimentent un nouveau modèle de production, et d’un autre côté ils restent dans l’ancien modèle au niveau de la distribution, avec le MP3 payant auquel plus personne ne croit. L’association de MMC avec Warner est une erreur stratégique selon moi. Quand les internautes vont voir qu’ils ne récupèrent rien de leur investissement, ils vont partir.
Dans notre modèle nous sommes réellement indépendants et libres. Le club des 13 dénonce le fait que dans le circuit de financement d’un film d’une petite ou moyenne production, tous les intermédiaires exigent de récupérer une part du fonds de soutien automatique (une subvention du CNC attribuée aux producteurs), par « sécurité » disent-ils. C’est ce qui assèche les petites productions et enrichit les gros groupes.
Avec Varsovie-Express et son nouveau modèle, on évince ce problème et d’autres, et cela autorise des productions non formatées car nous ne sommes soumis à la pression d’aucun gros groupe.
Comment réagit le ministère de la Culture ?
Nous n’avons pas de contact directement avec le ministère, mais avec le CNC. Ils sont passionnés. Nous avons lancé des idées de projets avec eux, je ne m’avancerai pas à dire qu’on est déjà partenaires, mais si le CNC continue à recevoir notre proposition avec l’ouverture qu’ils ont aujourd’hui, alors nous pourrons très probablement collaborer. Il y a en France (et pas seulement) un stock gigantesque de films qui sont dans des placards, l’ambition de Ralamax Prod c’est aussi d’ouvrir ces placards et de les remettre à disposition du public
Et concrètement, qu’est-ce que le cinéma libre permet de faire qu’une production classique ne permet pas ?
Le cinéma libre permet… et il n’est pas exagéré que de le dire… d’être libre ! En effet, la combinaison des fonds publics et des investissements des internautes nous permet de ne pas dépendre d’une quelconque puissance, telle une chaîne de télévision, ce qui nous permet d’être entièrement libre dans la création. Dans l’art il faut se libérer de l’ingérence de ses financiers pour être complètement libre.
Il est assez probable que dans le cadre d’une production traditionnelle nous n’aurions pu choisir nos acteurs, présenter ce style de scénario, y faire participer des inconnus tant sur la bande originale que sur chacune des étapes créatives du film… Sans vouloir diaboliser, je pense qu’une production traditionnelle ne prendrait pas le risque d’intégrer des nouveaux talents sur un film tel que Varsovie-Express, et que nous n’aurions trouvé aucun producteur. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle nous avons fait le choix du libre.
Nous avons choisi le libre pour défendre des valeurs de partage, et pour les innombrables possibilités collaboratives que ça offre.
Vous n’êtes donc pas en accord avec le projet du ministère de la Culture de lutter contre le piratage avec la riposte graduée ? Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement au niveau de la diffusion des œuvres sur Internet ?
En premier lieu je pense qu’il n’y a rien à attendre sur ce sujet d’un gouvernement qui a financé sa campagne avec le soutien financier des gros groupes et des majors. Le fait de confier la présidence d’une commission d’étude sur le téléchargement au PDG de la Fnac, Denis Oliviennes, qui a écrit un livre intitulé « La gratuité c’est le vol », relève soit du parti pris, soit de l’incompétence. La loi Création et Internet n’est pas particulièrement dangeureuse en soit pour le cinéma libre, mais elle est juste anachronique et décalée de la réalité. Elle constitue par son existence même une négation de notre mouvement : la culture libre.
Par contre si la loi est anachronique pour le cinéma, c’est pour tous qu’elle est liberticide avec la mise en place d’un dispositif de surveillance généralisé d’Internet. Tout le monde est concerné.
Quel accueil recevez-vous de groupes de défense des droits du cinéma comme l’ARP ou la SACD, qui font pression sur le législateur ?
L’ARP et la SACD défendent une certaine conception du cinéma, mais ça n’est pas la seule. Nous allons déposer notre contre-appel sur la loi Hadopi et la liste des signataires au Ministère de la culture, nous verrons leur réaction. Je pense que l’ARP et la SACD autant que le ministère lui meme ne sont pas très au fait des possibilités qu’offre Internet aujourd’hui. Ils défendent l’ancien modèle car il n’ont pas compris le nouveau.
Nous ne sommes pas encore en opposition frontale avec eux, personne à l’heure actuelle n’a vraiment essayé de leur faire voir les choses sous un autre angle. C’est un travail pédagogique que nous avons à mener.
Merci beaucoup Joseph. Un message pour finir à nos lecteurs ?
Non, merci à vous pour nous permettre de partager notre vision. J’invite les lecteurs à signer et à diffusion notre contre-appel sur la loi Hadopi.
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