Le rapport (.pdf) pour le Plan de développement de l’économie numérique à horizon 2012 communiqué lundi matin par Eric Besson énumère 154 actions, dont 45 pour la production et l’offre de contenus numériques. Si le catalogue peut paraître impressionnant, il reflète néanmoins une vision très étriquée de son sujet, sans réelle ambition et surtout sans vision. Si ce n’est une : la marchandisation de la culture.
Eric Besson veut d’abord prêcher pour la croyance dogmatique dans les DRM pour la diffusion du cinéma. Le rapport en est truffé de contradictions. Il constate en effet avec raison que « l’apport des DRM à l’exploitation de la musique en ligne, imposé les détenteurs de catalogues de musique depuis une dizaine d’années, laisse circonspect« , et qu’ils sont « souvent considérés comme une nuisance relativement à la consommation de musique« . Mais le Plan assure dans un même souffle que « si les DRM n’ont pas réussi à trouver leur place dans la distribution numérique de la musique, il est indispensable de les adapter avec succès à la distribution numérique de contenus audiovisuels et cinématographiques« . Il ne dit jamais comment les DRM qui ont échoué pendant 10 ans dans la musique réussiront d’ici 2012 dans le cinéma. Ou plus exactement, il mise pour réussir sur la légendaire quête de l’ « interopérabilité » (souhaitée aussi pour les DRM sur les livres électroniques) qui, en plus d’avoir échoué pour la musique qui avait émis le même voeu, exclue d’office les logiciels libres open-source qui obligent à rendre public le mécanisme de la serrure. Or le même rapport indique pourtant quelques pages plus loin que « le logiciel libre représente un potentiel économique et industriel considérable« , qu’il faut promouvoir. Comment résoudre cette contradiction ? Silence radio.
Sans surprise, aucun plan B n’est prévu en cas d’échec (certain) de l’interopérabilité. Mais il faut prier avec Eric Besson, car « les DRM sont les seules à même de faire respecter la chronologie des médias et les fenêtres d’exploitation successives, dont dépend le financement de toute l’industrie de contenus filmés « . Prendre le problème à l’envers et adapter le financement du cinéma au monde numérique sans DRM n’est pas une option. Ce sera probablement l’objet d’un plan 2025 pour y réfléchir enfin lorsque le rêve de l’interopérabilité sera définitivement éteint.
Et quand bien même le Graal de l’interopérabilité serait-il trouvé, un fichier doté d’un DRM même interopérable restera toujours moins attractif qu’un fichier sans DRM. C’est donc non seulement une quête impossible, mais une quête inutile.
Si le dogme du DRM est ainsi matraqué, c’est qu’il participe à convertir le citoyen en consommateur dans l’esprit du législateur. Une phrase résume à elle-seule la philosophie du rapport. Evoquant la nécessaire réforme de la Commission copie privée (dont les propositions avaient déjà filtré) le Plan précise d’abord que « l’exception copie privée est une faculté à laquelle les consommateurs sont très attachés« . On note ainsi le soin mis à ne pas parler de « droit » à la copie privée, pour ne pas contredire la jurisprudence, mais surtout l’usage du mot « consommateur » qui relègue la copie privée au rang du simple droit de la consommation. Le droit du citoyen contre le droit de l’auteur n’est pas évoqué comme tel. Seul le consommateur importe. Celui qui n’achète pas n’a pas le droit de copier, même pour son propre usage. Soit riche ou inculte.
Sous un angle plus positif, le rapport réfute l’idée de réformer la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) qui confère aux hébergeurs une protection contre les accusations de contrefaçon. Il appelle simplement de ses voeux une nouvelle charte entre les acteurs du Web 2.0 et les ayants droit, notamment en vue de l’établissement de règles relatives au marquage des œuvres et à la création d’un fichier national des œuvres protégées, dont nous avons déjà dit quelques mots.
Par ailleurs, le plan Besson appelle à « augmenter la présence de la culture française sur la Toile » et précise que le succès des sites d’archives publiques comme ceux de l’INA « pourrait être substantiellement
supérieur si les contenus proposés devenaient en partie exportables et réutilisables« . Il demande ainsi à ce que la réutilisation des données publiques soit facilitée par des sortes de licences libres élaborées par l’Agence du patrimoine immatériel de l’État (APIE).
On se félicitera, enfin, que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) ne soit jamais évoquée, contrairement à l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT) qu’elle est censée remplacer. Une prudence en forme de pressentiment ?
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