La Commission Européenne n’a pas accédé à la demande de Nicolas Sarkozy de retirer du Paquet Télécom l’amendement 138 voté à une écrasante majorité par le Parlement Européen (88 % des voix), qui rend concrètement inapplicable la procédure de riposte graduée souhaitée par le gouvernement. L’amendement dispose qu’ « aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire en application notamment de l’article 11 de la charte des droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement« . Excepté la ministre de la Culture Christine Albanel, tous s’accordent à dire que cette disposition impose la saisine d’un tribunal avant toute mesure de suspension de l’accès à Internet.
Il ne reste plus qu’une seule carte dans les mains de Nicolas Sarkozy, obtenir le retrait de l’amendement au prochain Conseil des ministres du 28 octobre, la veille de l’ouverture de l’examen de la loi Création et Internet au Sénat. Si la Commission avait rejeté l’amendement comme l’avait demandé le Président français, le véto de la France aurait suffit à faire obstacle à sa réintroduction. Mais la Commission ayant préféré respecter le vote des parlementaires européens, Nicolas Sarkozy devra trouver une majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres pour obtenir la suppression de la disposition. Même si sur un plan strictement juridique son maintient n’interdirait pas la poursuite des débats en France puisque l’amendement ne sera pas en vigueur avant de longs mois, sur un plan politique elle rend la loi Création et Internet inadoptable.
Contacté par Numerama, le député européen Guy Bono à l’origine de l’amendement 138 ne déborde pas d’optimisme sur l’issue du Conseil. « Il semblerait que la France ait des difficultés à réunir la majorité qualifiée. Toutefois, il ne fait aucun doute que Nicolas Sarkozy va maintenir la pression sur le Conseil afin d’obtenir le retrait de l’amendement 138« , nous confie le parlementaire. Le président français a en effet des moyens de pression politique en sa qualité de Président interérimaire de l’Union Européenne. Il pourrait troquer un soutien sur le retrait de l’amendement 138 contre une autre mesure souhaitée par les Etats membres réticents.
Une double voire triple majorité seront nécessaires
Les Etats de l’Europe de l’Est et du Nord sont pour le moment les plus opposés à la riposte graduée. « Au Conseil« , nous rappelle Guy Bono, « la majorité qualifiée est atteinte si 255 voix sur 345 sont réunies et que la décision recueille le vote favorable de la majorité des États membres« .
« Par ailleurs, en vertu de la clause demographique, un Etat membre peut demander qu’il soit vérifié que la majorité qualifiée comprenne au moins 62% de la population totale de l’Union. Il s’agit donc d’une double majorité voir d’une triple majorité, selon le cas, qui est nécessaire.«
De plus, concernant la menace française de demander le retrait de l’ensemble des dispositions relatives aux contenus, y compris l’amendement 138, M. Bono reconnaît que « la France pourrait en théorie obtenir la suppression de l’ensemble des amendements relatifs aux contenus, à condition toutefois ici encore de réunir autour d’elle une majorité qualifiée« .
Vers une solution alternative à la suspension de l’abonnement ?
Quand bien même Nicolas Sarkozy réussirait à arracher le retrait de l’amendement 138 lors du Conseil des ministres, il est déjà assuré de le voir revenir comme un boomerang lors de la deuxième lecture du Paquet Télécom, où il sera à nouveau voté par le Parlement Européen.
Le gouvernement français est donc dans une course contre la montre, et l’annonce du report de l’examen du projet de loi Création et Internet à l’Assemblée Nationale au début de l’année 2009 est un obstacle supplémentaire. C’est en effet également au premier trimestre 2009 que le Parlement européen doit se réunir pour étudier le Paquet Télécom en seconde lecture.
Anticipant le problème, la Commission des affaires culturelles du Sénat a déjà réfléchi à des solutions alternatives à la suspension de l’abonnement Internet, en proposant des amendements. Le principal vise à substituer la suspension totale de l’accès au web par une restriction des applications disponibles, en supprimant en particulier l’accès aux réseaux P2P. Mais le rapporteur Michel Thiollière a prévenu que « si, et seulement si, l’évolution des technologies permet d’atteindre l’objectif de protection des œuvres, et donc d’empêcher de les pirater, tout en permettant le maintien de certains services supplémentaires, notamment de messagerie ou de consultation d’Internet, l’HADOPI pourra alors opter pour cette mesure« . Autant dire qu’elle ne verra jamais le jour.
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