« Nous sommes allés vite, c’est vrai« , reconnaîtra le rapporteur Michel Thiollière en clôture de l’examen de la loi Création et Internet. Si vite que l’ombre menaçante de l’amendement Bono adopté en septembre par le parlement européen n’aura pas été aperçue au Palais du Luxembourg. Malgré le vote massif des députés européens contre le processus expéditif de la riposte graduée, qui prévoit la suspension de l’abonnement à Internet sur une simple décision administrative, le Sénat a déroulé l’examen du projet de loi avec près de 200 amendements discutés en une journée.
Ce jeudi, les sénateurs ont ainsi répondu au Parlement Européen du berger à la bergère en rejetant l’idée d’une amende plutôt qu’une suspension de l’abonnement à Internet par une écrasante majorité de 297 voix pour, contre 15. Ils ont par ailleurs accepté le principe d’un label décerné par l’Hadopi aux éditeurs de firewalls et autres logiciels de filtrage jugés suffisamment efficaces, et accepté le principe d’un spyware imposé aux internautes pour vérifier leur activation. Pas un seul sénateur ne s’y est opposé ou a émis la moindre réserve. Ils ont également validé l’intégration de la lutte contre le piratage au programme du Brevet informatique et Internet des collégiens.
Plus révélateur de l’esprit du projet de loi, les sénateurs n’ont pas adopté les amendements visant à rendre suspensif le recours des abonnés condamnés, afin que la suspension de l’abonnement à Internet n’intervienne qu’après l’étude du recours. Christine Albanel a en effet refusé un recours de nature suspensif parce qu’il serait « dommageable pour le bon fonctionnement de la procédure« , qu’il viendrait « ralentir, alourdir« . La ministre de la Culture a pour objectif que l’Hadopi sanctionne chaque jour 1000 internautes, et toutes les protections des droits de la défense qui pourraient interférer avec cette efficacité ont été rejetées.
Le Sénat a également accepté une proposition de la commission des affaires culturelles, qui vise à donner à l’Hadopi la possibilité d’imposer des mesures de filtrage ou de bridage de l’accès à Internet comme alternative à la suspension de l’abonnement à Internet.
Toutefois, les sénateurs ont ramené la durée de la suspension de l’abonnement à Internet à 1 mois, contre trois mois maximum prévus par le texte pour une première suspension. Ils ont aussi tapé du poing sur la table contre les industries culturelles, en fixant l’obligation de ramener le délai de la VOD au niveau des DVD (6 mois après la sortie en salle) au plus tard le 1er mars 2009. Ils ont également exigé qu’un standard d’interopérabilité des DRM pour la musique soit adopté dans les six mois suivant la promulgation de la loi, ce qui concrètement doit conduire les maisons de disques à abandonner les DRM au profit du seul MP3.
Le texte, largement adopté par les sénateurs, doit désormais être renvoyé devant les députés de l’Assemblée Nationale, au début de l’année prochaine. Le débat devrait y être plus compliqué pour la ministre de la Culture devant des parlementaires plus au fait des technologies. Elle a déjà subi un léger revers au Sénat. Même si aucune garantie concrète des droits de la défense n’a été apportée, le fait que l’Hadopi ne puisse instruire que des « faits constituant un manquement » et non plus seulement « susceptibles » de constituer un manquement est le principal progrès apporté par les sénateurs au texte.
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