Le service en ligne Wizzgo propose aux internautes de programmer l’enregistrement de programmes de télévision diffusés par les chaînes de la TNT, comme sur n’importe quel magnétoscope. Sauf que l’enregistrement ne se fait pas chez soi, mais à distance. Lorsque le programme souhaité par l’utilisateur a été diffusé, le logiciel fourni par Wizzgo télécharge automatiquement le fichier vidéo correspondant, accompagné d’un DRM pour éviter sa propagation. La société pensait ainsi se mettre à l’abris des foudres judiciaires des chaînes de télévisions. Mais c’était mal les connaître.
Après une première décision le 6 août 2008 en faveur de M6 et W9, le TGI de Paris a estimé une fois encore que Wizzgo, qui offre un « magnétoscope numérique en ligne« , viole les droits exclusifs des chaînes de télévision dont les programmes sont ainsi enregistrés à distance. Saisi en référé, le tribunal a jugé le 6 novembre dernier que Wizzgo ne pouvait pas enregistrer les programmes des chaînes de France Télévisions, TF1 et NT1, en rejetant le bénéfice de l’exception pour copie privée qu’invoquait le service en ligne.
Alors que le code de la propriété intellectuelle dispose que l’on ne peut pas interdire « les copies strictement réservées à l’usage privé du copiste », le tribunal de grande instance de Paris a rappelé que « l’exception de copie privée ne saurait être applicable à une société qui offre un service de copie à des tiers, le copiste et l’usager n’étant pas la même personne« . Interprétée de la manière la plus littérale, l’exception pour copie privée ne peut en effet être invoquée que par la personne qui réalise elle-même la copie pour son propre usage, et non par celle qui réalise la copie au bénéfice d’un tiers. Il est légal d’emprunter un CD à un ami pour s’en faire une copie chez soi, mais il n’est pas légal de faire une copie d’un CD à soi pour l’offrir à un ami.
Une jurisprudence constante mais dépassée
Cette interprétation restrictive de la copie privée appelle depuis longtemps à une réforme de la loi. Les motivations juridiques retenues par le tribunal ne sont pas nouvelles. Dès 1984, la cour de cassation avait jugé par exemple qu’une officine de photographie était responsable de la contrefaçon des documents qu’elle photocopiait à la demande de ses clients. La décision a été confirmée à plusieurs reprises contre d’autres officines, et plus récemment en 2001 contre un magasin réalisant sur demande des copies de CD audio et de CD-Rom. A chaque fois, il a été jugé que celui qui détient le matériel de copie et qui l’exploite était le « copiste ».
Pour se mettre en conformité avec la jurisprudence, les officines de reprographie se sont adaptées. La plupart ne réalisent plus les copies elles-mêmes, mais mettent simplement les photocopieuses à disposition du client qui, étant celui qui appuye sur le bouton, redevient le « copiste ». Mais dans l’univers numérique, qui plus est à distance, la distinction devient impossible à faire. Même si l’utilisateur de Wizzgo doit cliquer lui-même sur le bouton « enregistrement » pour programmer la copie, ce sont bien les serveurs de Wizzgo qui exécutent la requête à distance, en ayant le contrôle de ce qui est copié.
La décision revient à interdire toute dématérialisation du magnétoscope, qui semble pourtant aller dans le sens de l’histoire de l’évolution technologique. Quelle différence y a-t-il entre un enregistrement numérique réalisé chez soi via sa Freebox et un même enregistrement numérique du même programme réalisé à distance grâce à Wizzgo ? Sur un plan purement pratique, aucune, à part qu’il n’y a plus besoin d’encombrer son disque dur. Mais il faut probablement modifier la loi pour que la notion de copiste vise celui qui demande la copie pour son compte et non plus celui qui l’exécute.
L’exception pour copie privée a été mise en place pour restreindre les droits exclusifs des ayants droit qui pourraient abuser d’un contrôle excessif de la diffusion de leurs œuvres, contre l’intérêt public de la diffusion des savoirs. C’est dans cet esprit que les chaînes de télévision en clair – qui utilisent un bien public qui leur est concédé par la société (les ondes hertziennes), ne doivent pas pouvoir interdire ou contrôler l’enregistrement de leurs programmes, comme l’a exigé la loi DADVSI.
Mais aujourd’hui les chaînes de télévision veulent au contraire contrôler les enregistrements, pour vendre leurs propres services de télévision de rattrapage (catch-up TV), qui proposent toute leur grille des programmes en VOD. Elles veulent privatiser l’exception pour copie privée, pour l’encadrer de leurs DRM et l’entourer d’obligations contractuelles.
« Il est tout à fait probable que nous allons faire appel de cette décision, comme nous l’avons fait pour M6 cet été« , a indiqué à la lettre professionnelle Satellifax Jérôme Taillé-Rousseau, cofondateur de Wizzgo. « C’est dommage car il y aura des chaînes importantes en moins, mais ce n’est pas pour autant la fin de Wizzgo, ni dans sa forme actuelle ni dans d’autres formes sur lesquelles nous travaillons« , a toutefois promis la société.
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