L’anecdote devra rester bien présente dans les mémoires des députés lorsque le gouvernement français proposera l’an prochain au Parlement d’adopter le projet de loi visant à obliger les fournisseurs d’accès à Internet à bloquer l’accès aux pages qui lui seront communiquées par le ministère de l’intérieur. Dès lors qu’il faut tracer une ligne entre le contenu licite ou illicite, le contrôle du juge reste incontournable. Tout projet de règlementation visant à contourner l’autorité judiciaire pour atteindre aux libertés publiques pose des questions graves qu’il est imprudent d’ignorer.
Certes, le blocage en Grande-Bretagne de la page de Wikipédia consacrée à l’album Virgin Killer peut prêter à sourire par son absurdité. Il est toutefois révélateur de deux choses : 1. qu’un filtrage ne peut pas être automatisé sans dérive sur la base d’un simple listing alimenté par des instances qui, le plus souvent, ont intérêt à publier des résultats chiffrés pour justifier leur existence ; 2. que tout contenu mis en cause est soumis à interprétation et nécessite une décision judiciaire lorsqu’il est décidé de le censurer.
Face au tollé général et légitime qu’a causé le blocage de Wikipédia en Grande-Bretagne, L‘Internet Watch Foundation (IWF) a retiré l’URL incriminée de sa liste d’adresses que les FAI doivent filtrer. Mais sans s’excuser ou se remettre en question. Elle assure en effet avoir « examiné avec soin les questions en jeu dans cette affaire« , et « confirmé que l’image en question est potentiellement en violation avec la loi sur la protection des enfants de 1978« . Elle a réétudié le dossier mardi, et « la décision a été prise d’éliminer cette page de notre liste noire« , mais uniquement parce que l’image datait de 1976 et qu’elle était déjà largement diffusée sur Internet et ailleurs.
Il faut donc comprendre qu’un groupe de musique récent, peu connu, qui proposerait le même genre d’imagerie sur la pochette de son album, pourrait être assimilé à une organisation pédophile par l’IWF, qui ordonnera le filtrage aux FAI.
Loin de refermer le débat en reconnaissant simplement que l’image n’avait pas de caractère pédopornographique, l’IWF l’accentue. Ce qui peut-être, au fond, une bonne chose.
Car avant-même la nature de l’image, c’est bien la légitimité de l’IWF à en décider qui doit être au centre du débat. Si la France veut s’inspirer de la Grande-Bretagne pour filtrer les contenus pédopornographiques, elle devra le faire dans un cadre judiciaire strict. Sans oublier que le filtrage ne sera jamais une réponse efficace au problème de la pédophilie, mais simplement une manière de s’enfouir la tête dans le sable.
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