C’est avec un nouveau record de connexions sur le site de l’Assemblée Nationale que le débat sur la loi Création et Internet a repris lundi, au point de saturer le flux vidéo mis à disposition des internautes. Alors que 3500 internautes s’étaient connectés le premier jour, ce sont plus de 4500 internautes qui se sont réunis hier soir pour regarder les quelques députés présents échanger leurs points de vue sur le dispositif de la riposte graduée. Il y en aurait eu sans doute encore davantage si la vidéo n’avait pas croulé sous le poids des connexions. C’est une bonne nouvelle pour l’intérêt que portent les citoyens français à la démocratie, mais sans doute une mauvaise au regard de l’image qu’elle a pu donner d’elle-même.
Christine Albanel a ainsi pu expliquer en substance que les 732 députés européens que les électeurs sont appelés à renouveler en juin prochain ne servent à rien, et rejeter différents amendements qui visaient à obtenir une représentation de la CNIL ou des associations d’internautes au sein de la Haute Autorité (Hadopi) chargée de mettre en œuvre la riposte graduée. Elle a systématiquement évité de répondre aux questions pourtant précises qui lui étaient posées sur les risques d’accuser des internautes innocents, de ne jamais recevoir les e-mails d’avertissement, ou encore que des hackers peu scrupuleux se fassent passer pour la Hadopi en envoyant des e-mails de phishing à des internautes pris au piège de la paranoïa.
Mais Christine Albanel a tout de même flanché, prise à son propre piège de la propagande.
Lorsque le député socialiste Christian Paul a demandé combien de fonctionnaires seraient nécessaires pour « épauler cette équipe de courageux magistrats » à qui l’on demandera de prendre 1000 décisions de suspension à Internet par jour (soit environ une décision toutes les 25 secondes), Christine Albanel a assuré qu’il n’y avait « pas d’intention de suspendre les accès, ça n’est pas le but« .
« Personne ne peut dire combien il y aura de suspension, ce qui est important ce sont les mails et les recommandés« , a insisté la ministre, peu après que le rapporteur Frank Riester a lui-même indiqué que « c’est là dessus que nous allons insister, d’abord sur l’envoi d’avertissements par mails et recommandés« .
« Ces chiffres vous les avez donné, Madame la ministre !« , s’est alors énervé le centriste Jean Dionis du Séjour, partisan de l’amende plutôt que la suspension. « Pas du tout« , réplique depuis son banc la ministre de la Culture. Mais Dionis du Séjour persiste : « si, vous lez avez donné, le 17 février ! Vous êtes très précise, vous avez dit 1000 suspensions par jour« .
Le compte rendu officiel de l’audition de Christine Albanel par la commission des lois le 17 février dernier est en effet précis. On peut y lire les propos de la ministre qui explique que « nous partons d’une hypothèse de fonctionnement de 10 000 courriels d’avertissement par jour, 3 000 lettres recommandées d’avertissement par jour et 1 000 décisions par jour« .
Placée devant le fait accompli, Christine Albanel se défausse. « C’était une question sur le bugdet de la Hadopi« , rappelle-t-elle pour expliquer les chiffres qu’elle avait donné. « Il s’agissait des projections maximums qui pouvaient être faites, mais qui peut dire aujourd’hui le nombre de suspensions qu’il y aura ? C’est absurde », conclut-elle.
Faire peur tout en évitant la sanction européenne
Il faut voir clair dans cette reculade gouvernementale. Après le troisième vote consécutif au Parlement européen contre la suspension de l’abonnement à Internet, et face à des divergences dans son propre camp, le gouvernement comprend qu’il est dos au mur mais ne veut pas céder sur le principe (qui reste cher à Nicolas Sarkozy). Il souhaite donc garder le dispositif mais fait comprendre en substance que l’Hadopi n’ira très probablement jamais jusqu’à prononcer la suspension de l’accès à Internet.
Le chiffre avancé de 1.000 sanctions par jour était une arme à double tranchant. Il avait été cité par le gouvernement dans l’espoir d’effrayer Madame Michu et de la convaincre d’arrêter de télécharger illégalement dès la mise en route de l’Hadopi. Mais il a surtout sonné l’alarme chez tous les députés qui ont réalisé que l’Hadopi serait une machine à condamner sans aucun respect pour les principes des droits de la défense.
Il a fallu que le président du groupe UMP à l’Assemblée Jean-François Copé (alerté par une première sueur froide) débarque en personne dans l’hémicycle pour que les troupes UMP soient remises en ordre de bataille et que la majorité fasse échec dans la soirée à une série d’amendements qui visaient à rendre la saisine du juge judiciaire obligatoire dans le cadre de la riposte graduée.
En maintenant le principe de la suspension de l’abonnement à Internet dans le texte sans jamais l’appliquer dans les faits, le gouvernement espère avoir la possibilité de continuer sa propagande anti-piratage sans jamais subir la censure du juge européen. S’il parvient à faire voter sa loi avant le retour de l’amendement Bono, la seule chance en effet de faire tomber le dispositif sera d’attendre que la Cour de Justice des Communautés Européennes ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme jugent que la sanction prononcée contre un internaute est contraire au droit européen.
Or si la sanction ne tombe jamais, il n’y aura par définition jamais de recours possible contre elle, et le fil qui retient l’épée de Damocles au dessus de la tête des internautes ne sera jamais coupé.
Le texte restera donc intact pour le plus grand plaisir de Nicolas Sarkozy, sans jamais être appliqué au delà des simples avertissements, dont on s’apercevra toutefois très vite qu’ils n’ont aucun effet.
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