Mise à jour mardi 21 février : Catherine Trautmann a accepté une version de compromis qui sera beaucoup moins contraignante pour la riposte graduée française. La commission ITRE du Parlement Européen doit la valider ce soir.
En supprimant l’an dernier du Paquet Télécom l’amendement Bono qui avait été adopté en première lecture par 88 % des députés européens, au moment où il était encore Président de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy a engagé le Conseil de l’UE dans un bras de fer avec le Parlement Européen. Un conflit d’autant plus difficile à gérer à quelques semaines des élections européennes, une période où les eurodéputés ne veulent rien lâcher pour démontrer leur utilité aux électeurs.
L’amendement Bono supprimé disposait qu’aucune « restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux (d’internet) ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire« , ce qui interdisait de fait toute suspension de l’accès à Internet sur simple décision administrative.
La loi Création et Internet étant alors prévue pour le début de l’année, Nicolas Sarkozy avait pour seule obsession de gagner du temps pour faire adopter sa loi avant que l’amendement européen ne fasse son retour en seconde lecture. Une fois la loi adoptée en France, la réintroduction de l’amendement n’aurait plus eu grande incidence politique, et seulement des conséquences juridiques à très long terme, puisqu’il aurait fallu attendre plusieurs années avant qu’une cour européenne sanctionne l’Hadopi au titre du Paquet Télécom.
Mais c’était sans compter sur le retard pris par la discussion du projet de loi Création et Internet, qui a contraint les autorités françaises à durcir leur ligne et à retarder les négociations entre le Parlement Européen et le Conseil. Début avril, le Comité des Représentants Permanents (Coreper), qui réunit les diplomates des 27 états membres chargés de déminer les textes avant les décisions officielles du Conseil, avait avancé une proposition de conciliation suggérée par la France. L’amendement Bono pouvait être réintégré au Paquet Télécom, à condition de remplacer la référence à l' »autorité judiciaire » par les termes, beaucoup plus laxistes, d’autorité « légalement compétente« . Le Coreper proposait également de faire de l’amendement Bono un considérant, qui n’a qu’une valeur interprétative, alors qu’un article doit être transposé en droit national par les Etats membres. Pour la France, cette double solution avait l’avantage de légaliser la sanction finale de l’Hadopi, qui est de nature administrative et non judiciaire, et de ne pas induire un nouveau débat sur la riposte graduée lors de la transposition du Paquet Télécom.
Tout ça c’était avant le drame, bien sûr…
Mais la rapporteure socialiste Catherine Trautmann (photo ci-contre) a catégoriquement refusé cette offre, estimant (par conviction et/ou par l’approche des élections) qu’il était de son devoir de protéger l’esprit de l’amendement voté par ses collègues eurodéputés. Lors d’une nouvelle réunion le soir du 7 avril, elle a proposé de remplacer « autorité judiciaire » par « tribunal indépendant et impartial« , et de faire explicitement référence à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui définit les conditions d’un procès équitable… notamment la présomption d’innocence, bafouée par l’Hadopi.
Nouveau refus du Coreper, qui a fixé la date d’une ultime réunion au 21 avril.
Or entre temps, patatras. Les députés français ont rejeté le 9 avril dernier la loi Création et Internet, mais Nicolas Sarkozy a obtenu que l’Assemblée le ré-examine au plus vite. Sauf que vacances parlementaires obligent, l’Hadopi ne sera ré-examinée à l’Assemblée que le 29 avril, c’est-à-dire une semaine après l’ultimatum fixé pour l’amendement Bono.
La France, qui irritait déjà les négociateurs, a donc plus encore radicalisé sa position. Cette fois il n’est plus question de retarder le retour de l’amendement Bono, mais bien de le bloquer, contre l’avis du Parlement Européen. Catherine Trautmann, qui est en discussion constante avec les groupes parlementaires, est mise sous pression.
Selon le calendrier prévu, le Coreper devait se réunir le 21 avril au matin pour tenter de débloquer la situation, avant le vote du rapport Trautmann le 21 au soir par la Commission IPRE (Industrie, Recherche et Energie) du Parlement Européen. Avec un délai aussi court, un accord de dernière minute sur une ultime formulation semblait cependant très improbable, certains fonctionnaires européens pointant du doigt la difficulté de traduire et d’analyser l’amendement en quelques heures. Il a donc été décidé d’avancer la réunion du Coreper au lundi 20 avril.
Daniel Cohn-Bendit demande à Trautmann de sauvegarder l’amendement Bono
Or selon les bruits de couloirs, Catherine Trautmann serait sur le point de céder aux pressions de la France. L’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, coprésident du Groupe des Verts/ALE, qui avait co-signé l’amendement Bono, s’est manifesté ce vendredi.
« J’en appelle au courage politique de la rapporteure sur la Directive cadre du Paquet télécom Mme Catherine Trautmann afin qu’elle résiste aux pressions du Conseil qui vise à lui faire accepter un pâle succédané de l’amendement 138 adopté en première lecture par le Parlement européen en septembre 2008« , a-t-il alerté dans un communiqué.
Influent, l’eurodéputé estime que « les députés européen peuvent, dans un esprit de compromis, accepter une modification de l’amendement 138 (Bono, ndlr) à condition que celui-ci reste dans le corps du texte, et non dans les préambules, et à condition également que la notion de décision d’un tribunal préalablement à la sanction soit incluse, ainsi que le respect des droits fondamentaux des internautes à la liberté d’expression, d’information et d’éducation« .
Si aucun accord n’est trouvé, c’est l’ensemble du Paquet Télécom qui risque d’être repoussé de nombreux mois, puisque le vote en séance plénière est pour le moment maintenu au mois de mai… mais qu’ensuite viendront les élections qui pourraient redistribuer les cartes.
Et tout ceci n’empêche pas Nicolas Sarkozy de proclamer que « Quand l’Europe veut, elle peut« , dans son tract UMP pour les élections européennes.
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