Alors que toutes les études indépendantes réalisées jusqu’à ce jour s’opposaient à l’idée d’allonger la durée de protection des droits des maisons de disques et des artistes-interprètes, voire proposaient sa réduction, le Parlement Européen a voté jeudi l’allongement des droits voisins. Le compromis a été accepté par 377 voix pour, 178 contre, et 37 abstentions.
Pour convaincre les députés réticents, il a été décidé d’allonger les droits à 70 ans après l’enregistrement, contre 95 ans proposés initialement. Actuellement, les maisons de disques et les artistes-interprètes bénéficient d’un droit exclusif de 50 ans après le jour de l’enregistrement des œuvres musicales. C’est donc l’ajout d’une génération supplémentaire d’artistes dans le catalogue d’exploitation exclusive des majors, et la réduction d’autant du domaine public, qui va être amputé de 20 ans de musique jusque là libre de droits (à l’exception des mélodies et paroles, si leurs auteurs sont décédés depuis moins de 70 ans).
« Alors que de plus en plus de citoyens européens se retrouvent dans la précarité, cette directive qui vise à surprotéger les industries culturelles est indigne !« , a protesté l’eurodéputé Guy Bono, qui avait déposé un amendement de rejet de la directive. « C’est un cadeau fait à l’industrie du disque qui n’a pas su s’adapter à la révolution numérique« .
Alors que les lobbys culturels ont assuré que cet allongement des droits voisins devait d’abord profiter aux artistes et à leurs descendants, pour assurer une retraite, l’eurodéputé socialiste s’insurge. « Avant de vouloir prolonger un système inéquitable, peut-être serait-il bon de remédier à son iniquité! A l’heure actuelle, les artistes touchent en moyenne 5% sur la vente d’un CD contre plus de 50% pour les intermédiaires, et ils ne perçoivent que 3 ou 4 centimes sur un titre vendu en ligne à 99 centimes !« , s’indigne Guy Bono. « Allonger les droits d’auteur ne règle pas le problème crucial de la répartition des richesses entre les artistes et les intermédiaires« .
Surtout, elle accentue encore la pression sur le public, et ne contribue pas à revaloriser la création récente. Comment faire comprendre au public qu’une œuvre publiée cette année a de la valeur et doit être payée, si un vieil enregistrement de John Lennon rentabilisé depuis longtemps est encore considéré comme un bien commercial de même valeur ?
Guy Bono estime qu’allonger la durée des droits « reviendrait, de fait, à laisser ces droits encore plus longtemps aux mains des industriels du disque et donc à privilégier la logique de rentabilité sur une logique de transmission du patrimoine musical« .
Pour contrebalancer la mesure, le Parlement a adopté la création d’un fonds de retraite qui obligera les labels à verser 20 % des revenus tirés de l’allongement des droits. Le montant sera redistribué aux artistes qui ont dû abandonner leurs droits dans leurs contrats de production passés. Ce fonds sera généré par les sociétés de gestion collective des artistes-interprètes et des producteurs.
Il a été également décidé l’adoption de l’amendement dit de « table rase« , qui oblige les maisons de disques à renoncer après les 50 années initiales aux avantages léonins des vieux contrats de production, qui leur permettaient de déduire une partie importante du montant des reversements aux artistes-interprètes. Les artistes pourront également renégocier les contrats signés avant l’entrée en vigueur de la directive, 50 ans après la première publication de leur enregistrement.
La Grande-Bretagne, qui avait fait pression pour l’adoption de ces contre-mesures, semble donc l’avoir emporté. Si les artistes-interprètes peuvent s’en féliciter, il n’est cependant pas certain que ces mesures profitent au public, et plus globalement à la création musicale. Il faudra qu’un jour s’ouvre un vrai débat sur la place et l’importance économique et sociale du domaine public. Ou l’on finira à terme par redonner des droits aux héritiers de Molière, voire d’Aristote.
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