Malgré les efforts non dissimulés de la présidente de séance Catherine Vautrin (UMP) à faire avancer au plus vite les débats, c’est à un rythme relativement lent que les députés ont débuté lundi l’examen en seconde lecture des articles de la loi Création et Internet. La séance a été levée dans la nuit alors qu’une centaine d’amendements restaient encore en discussion. La perspective pour le gouvernement d’un vote de la loi à l’Assemblée dès cette semaine s’éloigne, d’autant que le calendrier parlementaire est très chargé.
Mardi, les débats ne reprendront en effet qu’après les questions au gouvernement, alors que sont également prévus la même journée les votes des propositions de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité, relative à l’augmentation des salaires et la protection des salariés et des chômeurs, et le vote sans doute animé de la proposition de loi visant à supprimer le délit de solidarité. Le tout complété par une séance de questions à Michèle Alliot-Marie sur la lutte contre la délinquance, et une discussion sur la réforme du règlement de l’Assemblée Nationale.
Lundi, c’est donc disciplinés mais décidés à discuter sur chacun des points de la loi que les socialistes se sont présentés dans l’hémicycle. La majorité n’a laissé passer aucun amendement, mais la journée a permis de voir la naissance d’un nouveau mousquetaire de la loi Hadopi. Le député du Val-de-Marne Jean-Yves le Bouillonnec (photo ci-contre) avocat et juge suppléant de la Cour de justice de la République, est venu avec la précision chirurgicale du juriste rigoureux développer point par point les raisons qui feront selon lui que la loi sera soit rejetée par le Conseil constitutionnel, soit rendue inapplicable par les recours qui seront exercés.
Le député a notamment attaqué le fait de laisser à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir les conditions et les modalités d’un recours, et averti que ces recours pourront être à la fois de nature administrative et judiciaire, ce qui fragilisera d’autant l’Hadopi. Il a également fustigé le pouvoir donné à l’Hadopi d’obtenir directement le nom des abonnés identifiés par leur adresse IP, alors que le Conseil constitutionnel a explicitement réservé cette faculté à l’ordre judiciaire.
L’ancienne ministre de la justice Marylise Lebranchu, députée du Finistère, est également intervenue dans le même sens pour dénoncer le fait que l’Hadopi aura « plus de droits qu’un juge d’instruction« . « Comment se fait-il qu’une autorité administrative puisse avoir autant de pouvoirs alors que dans toutes nos procédures il faut beaucoup plus de motivation et beaucoup plus de temps, de recours possible, d’assistance, etc.« , a demandé la députée socialiste. « Je ne comprends pas que le président de la commission des lois ne demande pas au moins sur ce point que nous ayons une vraie discussion« , a-t-elle lancé en direction de Jean-Luc Warsmann (UMP), qui a pris soin de ne pas ralentir les travaux de la séance en restant le plus souvent possible assis sur son banc.
« Deezer.com pourrait très bien faire partie des offres légales labellisées »
Christian Paul s’est aussi inquiété de ce que les députés sont « en train de baisser la garde en termes de respect des libertés, de l’Etat de droits« , en donnant des « pouvoirs exhorbitants » à l’Hadopi en matière de surveillance. Un appel relayé par le communiste Jean-Pierre Brard, qui a estimé que si « la CNIL protège les citoyens et punit ceux qui portent atteinte aux libertés, l’Hadopi porte atteinte (aux citoyens) avec présomption de culpabilité« .
Malgré ces avertissements, les députés UMP n’ont pas souhaité voter les amendements qui permettaient de mieux encadrer ou de limiter les attributions de l’Hadopi. Ils ont par ailleurs accepté, dans la soirée, que l’Hadopi puisse procéder à la labellisation des offres légales, et à des expérimentations sur le filtrage.
« La légalité de quelque chose ne peut être décidée que par l’ordre judiciaire« , avait pourtant prévenu Patrick Bloche, à qui le rapporteur Frank Riester a répondu que « l’offre légale c’est l’offre consommée dans le respect des droits des auteurs et des créateurs, et donc dans le respect du code de la propriété intellectuelle« .
« Il s’agit de valoriser les offres légales, par exemple Deezer.com pourrait très bien faire partie des offres légales labellisées« , a renchéri la ministre de la culture Christine Albanel.
Sur le filtrage, le centriste Jean Dionis du Séjour a jugé que « la perspective du filtrage pour des délits sur la propriété intellectuelle est disproportionnée« , tandis que la députée Verts Martine Billard a expliqué que surveiller les contenus pour les comparer à des empreintes numériques de contenus protégés revenait de fait à une « surveillance intégrale de la toile« , qu’elle juge inacceptable. Mais pour Christine Albanel, qui nie cette interprétation, il s’agit « d’empêcher le piratage à la source« .
« Soit on est optimiste et on se dit que ça marchera pas, soit on est pessimiste et ça marchera« , a résumé le socialiste Didier Mathus, qui a intimé les députés de la majorité de réfléchir à leur vote. « Dites vous dans votre for intérieur : est-ce que je suis pour ça ?« , a-t-il insisté.
« Est-ce qu’il y a aujourd’hui sur l’internet en France s’agissant du grand public un dispositif de surveillance et de filtrage à cette échelle là, dans un autre domaine de la vie collective ? Ou bien est-ce sans précédent ?« , a secondé Christian Paul, annonçant une demande de scrutin public. « Nous pensons nous que c’est sans précédent, et donc que c’est une brèche que l’on est en train d’ouvrir« .
Une brèche ouverte par 54 voix contre 25.
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