De l’Hadopi à la Loppsi, d’un ministère à l’autre, les méthodes sont sensiblement identiques. Des affirmations sont lancées en l’air pour justifier une loi, sans que les preuves de ces allégations ne soient apportées. Et l’on n’hésite pas, parfois, à trahir la réalité. Pourvu que cela serve l’intérêt suprême.
Il est ainsi remarquable que dès la deuxième phrase de l’exposé des motifs du projet de loi Loppsi, le ministère de l’intérieur affirme que « de 2002 à 2007, le nombre de faits constatés par la police et la gendarmerie nationale a diminué de 12,8 % soit 500.000 victimes de moins« . Comme s’il y avait une corrélation exacte entre le nombre des faits constatés et le nombre de victimes. Si c’était vrai, et si l’on pousse ce raisonnement à l’absurde, autant supprimer la police : moins la police fait son travail, moins il y a de victime. Implacable.
De même, pour justifier le blocage des sites Internet par les FAI, le ministère de l’intérieur affirme que « le nombre d’images de pornographie enfantine diffusées sur Internet est en augmentation constante depuis plusieurs années« . La source ? Aucune. Il faut le croire sur parole, même si nombre d’entre nous n’ont jamais croisé une seule fois sur Internet le moindre contenu pédophile, malgré une utilisation intensive du net depuis plus d’une décénie.
L’important, comme le présentent les motifs du projet de loi, c’est « la nécessité d’offrir aux Français une protection toujours plus importante, dans un environnement de plus en plus complexe et instable« . Le choix des mots est d’ailleurs intéressant. L’article 4 sur le filtrage des sites Internet ne vise pas à « lutter contre la pédophilie », comme c’est souvent présenté, mais à « protéger les internautes contre les images de pornographie enfantine« . Vous ne le saviez pas, mais vous étiez en danger. Contre la pédophilie aujourd’hui. Contre le piratage ou la « désinformation » demain. Une fois le principe du filtrage acté, il suffra d’en étendre le périmètre, projet de loi après projet de loi, décret après décret. La première extension est déjà prévue.
Bloquer les sites situés à l’étranger
Les motifs du projet de loi Loppsi nous rappellent que « la législation permet actuellement au juge civil d’imposer à l’hébergeur la suppression du contenu ou la fermeture du site« , lorsqu’il est hébergé en France. Mais « la plupart des images de pornographie enfantine diffusées sur le net le sont via des sites hébergés hors de France« , précise l’exposé. « C’est pourquoi de nombreuses démocraties voisines se sont dotées de dispositifs techniques permettant de bloquer l’accès à ces sites depuis leur territoire national. C’est le cas du Danemark, de la Grande-Bretagne, de la Norvège, des Pays-Bas, et de la Suède« .
S’il connaît ces exemples, le ministère connaît sans doute les dérives du système de blocage, qui a vu notamment Wikipedia censuré en Grande-Bretagne, des sites pornographiques légaux bloqués en Finlande, ou des sites parfaitement légitimes bloqués en Australie.
La liste des sites à bloquer sera communiquée aux FAI « sous la forme d’un arrêté du ministre de l’intérieur« , indique le projet de loi, sans préciser si la liste sera publique (elle ne le sera pas), et donc s’il sera possible d’en contester le contenu, notamment devant un juge. « En pratique, l’office de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) transmettra aux FAI les données utiles par voie dématérialisée. Les FAI auront le libre choix des technologies de blocage selon leurs infrastructures« , indique simplement l’exposé des motifs.
Les opérateurs auront ainsi l’obligation de « mettre en place, sur leur réseau, un logiciel visant à empêcher toute connexion à des sites à caractère pédophile répertoriés par les services de police« .
L’article 4 du projet de loi précise que les FAI devront « empêcher l’accès sans délai« , mais c’est un décret qui fixera les conditions. Et qui devrait préciser à quel point il s’agira d’une obligation de résultat, ou de moyens.
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