Les rumeurs prêtaient au Conseil constitutionnel l’intention de publier un avis exceptionnellement long, c’est finalement quatorze petites pages qui ont scellé le destin de l’Hadopi. Les sages ont essentiellement censuré le principe de la sanction administrative, en estimant qu’une autorité administrative ne pouvait pas avoir le pouvoir d’ordonner la suspension de l’accès à Internet d’un abonné. Mais il a validé le principe de la surveillance, en renforçant les exigences de la CNIL, et mis un frein aux possibilités d’ordonner le filtrage pour éviter le piratage.
Dans le détail, voici les points qui ont soulevé notre attention dans cette décision :
- Le principe d’instaurer en droit français une obligation pour l’abonné de surveiller l’utilisation, y compris par des tiers, de son accès à Internet a été validé par le Conseil constitutionnel ;
- Il rappelle qu’en principe une autorité administrative peut avoir un pouvoir de sanction, lorsque notamment les droits de la défense sont respectés. Mais il estime que la sanction de suspension de l’accès à Internet est une atteinte portée à la liberté d’expression et de communication, et qu’il n’est pas possible pour le législateur de confier de tels pouvoirs à une autorité administrative, « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions« . Seul un juge peut suspendre l’accès à Internet.
- Il donne ainsi son blanc seing à l’amendement Bono qu’a condamné le gouvernement pendant des mois ;
- Ce faisant, il évite de se prononcer dans le détail sur le respect ou non des droits de la défense par l’Hadopi, et sur les conditions du recours aux sanctions. Il tacle tout de même le gouvernement sur le fait que l’Hadopi ne respecte pas la présomption d’innocence, en renversant la charge de la preuve.
- Mais il autorise le maintien de l’Hadopi dans son volet « pédagogique », comme n’a pas manqué de s’en féliciter Christine Albanel ;
- Il estime, d’ailleurs, que ce volet pédagogique est « justifié par l’ampleur des contrefaçons commises au moyen d’interet et l’utilité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie« . Une précision inutile en droit, mais qui valide politiquement le bienfondé de la riposte graduée ;
- Cependant, le Conseil prévient qu’une nouvelle autorisation de la CNIL sera nécessaire pour les traitements d’infractions dont les relevés seront transmis à l’Hadopi pour les avertissements. Il prévient que la CNIL devra s’assurer « que les modalités de leur mise en œuvre, notamment les conditions de conservation des données, seront strictement proportionnées à cette finalité » ;
- Il esquisse, surtout, un rééquilibrage entre les droits de la propriété intellectuelle – fortement défendus lors de sa décision sur DADVSI – et de liberté d’expression et de communication, en insistant beaucoup sur le fait que cette dernière est « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des droits et libertés« . Certains esprits malins pourront y voir un avertissement face au projet de contrôle du net de Nicolas Sarkozy ;
- En supprimant toutes les dispositions relatives à la sanction finale, le Conseil constitutionnel supprime également le fichage des internautes sanctionnés, qui posait également problème ;
- Le Conseil constitutionnel valide le fait de labelliser des moyens de sécurisation (des firewalls, outils de filtrage…), mais interdit de faire de l’installation d’un moyen labellisé la condition du respect de l’obligation de surveillance. Il limite le label à une simple fonction informative ;
- Enfin, sur le filtrage, le Conseil constitutionnel autorise le tribunal de grande instance à ordonner des mesures « nécessaires pour prévenir ou faire cesser une atteinte » aux droits d’auteur, mais soulève deux réserves essentielles au filtrage : une telle mesure ne pourra être ordonnée qu’après une procédure contradictoire, ce qui doit donner aux éditeurs le droit de contester la demande, et le tribunal ne pourra prononcer que des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« . Dans le projet de loi présenté, le TGI pouvait ordonner aux FAI ou aux hébergeurs « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser » une contrefaçon, ce qui était beaucoup plus large.
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