Mercredi, Numerama a expliqué pourquoi le projet de loi Hadopi 2 risque une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Selon les échos de la presse, le texte complémentaire prévoit de donner aux juges le pouvoir d’ordonner la suspension de l’accès à Internet, non plus sur la base du défaut de surveillance, mais sur la base du délit de contrefaçon. Or nous expliquions que la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à la fois dans ses décisions sur DADVSI et sur Hadopi, rendait ce schéma probablement inacceptable pour les sages.
Le célèbre bloggeur et avocat Maître Eolas a pour sa part publié une excellente analyse sur le recours à l’ordonnance pénale, dont nous avions également suspecté l’inconstitutionalité ou l’inapplicabilité au regard des exigences de respect des droits de la défense.
« L’ordonnance pénale, c’est la technocratie appliquée à la justice. L’idée a d’abord été créée pour faire face aux contentieux de masse posant peu de problèmes de preuve, à savoir : les contraventions routières« , rappelle tout d’abord Me Eolas. Or, « cette procédure ne peut fonctionner que pour des délits très simples à établir« , où la preuve est faite et peut difficilement être contestée.
« La contrefaçon, surtout par voie informatique, c’est autre chose« , prévient le juriste. « Il faut que le parquet apporte la preuve : que l’œuvre téléchargée était protégée (on peut télécharger plein d’œuvres libres de droits sur bittorrent ou eMule…), que le téléchargeur savait qu’il téléchargeait une œuvre protégée (les noms de fichiers peuvent être trompeurs quant à leur contenu, et on ne peut savoir ce qu’il y a réellement dans un fichier avant qu’il n’ait été téléchargé), et tout simplement identifier le téléchargeur, ce que l’adresse IP ne suffit pas à établir« . « Bref, ajoute-t-il, il est à craindre que la plupart des ordonnances pénales demandées sur la base des dossiers montés par la CPD soient refusées par le juge pour preuve non rapportée. Le parquet devra donc ouvrir une enquête de police, ce qui fait perdre tout l’intérêt simplificateur : la police étant le bras séculier du parquet, la faire enquêter sur des contrefaçons l’empêche d’enquêter sur d’autres affaires« .
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même a posé les jalons du recours aux ordonnances pénales, dans une décision du 29 août 2002. Les sages exigeaient alors que soit respecté « le principe des droits de la défense« , et rappelaient que la procédure simplifiée que constitue l’ordonnance pénale ne peut être mise en œuvre qu’après une enquête de police judiciaire. Or, comme le rappelle Me Eolas, « il n’y aura pas d’enquête de police judiciaire puisque c’est une autorité administrative qui réunira les preuves« .
Enfin, le meilleur pour la fin. Outre le fait que « l’ordonnance pénale n’est pas applicable aux mineurs« , Maître Eolas souligne que « cette loi est contraire à l’intérêt des artistes, ce qui est un amusant paradoxe« . En effet, « l’ordonnance pénale suppose que la victime ne demande pas de dommages-intérêts (…) donc les ayant droits ne pourront pas demander réparation de leur préjudice. Ils doivent sacrifier leur rémunération à leur soif de répression« .
Ajoutons que si le gouvernement décide d’appliquer l’ordonnance pénale aux contrefaçons, et non pas aux défauts de surveillance de l’accès à Internet, il devra prévoir le régime pour toutes les contrefaçons. Ce qui priverait potentiellement les ayants droit de dommages et interêts pour tous les types de contrefaçons. Une situation ubuesque.
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