Le texte, dont nous sommes saisis aujourd’hui, est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, dont le Conseil constitutionnel n’a pas maqué de souligner les graves insuffisances et les travers, dans sa décision du 10 juin 2009.
Cette décision est éclairante, à plus d’un titre :
Elle ne se contente pas de censurer un dispositif de riposte gradué, contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
Elle affirme, également, la compétence de principe de l’autorité judiciaire, dans le respect des libertés individuelles, notamment en ce qui concerne les droits de la défense et la présomption d’innocence.
On aurait pu imaginer après cette décision du CC, que le nouveau texte présenté allait se conformer à ces sages prescriptions, et ainsi nous offrirait toutes les garanties du respect des droits, constitutionnellement protégés.
Or, je regrette de vous le, dire, mais le texte qui nous est présenté est pire que le précédent !
Au lieu de se conformer aux principes développés dans la décision du Conseil constitutionnel, il cherche à les esquiver, maladroitement et parfois même de manière éhontée…
La manœuvre est peu habile, puisqu’au final, ce texte est un ensemble de bricolages juridiques, indigestes et inapplicables.
Il ne tire aucune conséquence de cette censure du CC !
Je souhaite vous donner 4 exemples de difficultés, que soulève la procédure mise en place pour juger des infractions de contrefaçon sur Internet, ou de négligence dans la surveillance de sa connexion internet.
Premièrement : la nature du pouvoir d’enquête de la commission de protection des droits de l’HADOPI.
Selon le projet de loi, une autorité administrative dite indépendante peut exercer des prérogatives, normalement dévolues au juge judiciaire, au mépris du principe de séparation des pouvoirs !
La question est simple : les membres, de la commission de protection des droits, ont-ils des pouvoirs de police judiciaire qui leur permettent de constater des infractions et d’en récolter la preuve ?
– L’exposé des motifs du projet de loi dit, de manière explicite, que les membres de la commission ont des pouvoirs de police judiciaire.
– Or,devant la commission des affaires culturelles, le Garde des Sceaux nous dit, je cite : » il n’y a pas lieu de reconnaître à ces agents une habilitation aux pouvoirs d’enquête de police judiciaire dans la mesure où ils n’ont pas vocation à prononcer de mesure répressive « .
Cette contradiction révèle un malaise profond, pour ne pas dire de réelles difficultés.
On se demande, qui croire ? L’exposé des motifs du projet de loi ou le Ministre chargé de le défendre ?
Dans les deux cas, il y a manifestement une entorse au principe de la séparation des pouvoirs :
– Soit ces agents ont des pouvoirs de police judiciaire, et dans ce cas il faut donner au juge la possibilité de contrôler leurs opérations,
– Soit ils n’ont aucun pouvoir de police judiciaire, et dans ce cas, leurs constatations ne valent pas plus que celles d’un enquêteur privé, qu’à juste titre, notre justice répugne à considérer comme des auxiliaires de justice !
Il est donc absurde de dire, que leur procès-verbal fait foi, jusqu’à preuve du contraire : en effet, c’est donner à ces agents des pouvoirs de police judiciaire, que la Garde des Sceaux leur a explicitement refusé devant la commission des affaires culturelles !
Au passage, je rappelle à notre Garde des Sceaux que la qualité d’officier, ou d’agent de police judiciaire, ne donne pas compétence pour prononcer des mesures répressives, comme elle l’a sous-entendu dans ses propos devant la commission des affaires culturelles.
C’est le rôle du juge de prononcer de telles mesures, et vous l’avez appris à vos dépends, lors de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009.
Les pouvoirs de police judiciaire ont un autre objet :
Faire respecter la régularité de la procédure et les droits du prévenu !
C’est l’équilibre même de la procédure pénale qui en dépend, et qui est indispensable à tous procès équitable
Dans la procédure que vous nous proposez, il n’y a aucun encadrement de la constatation des infractions.
Ni juge, ni officier de police judiciaire. Une personne, simplement assermentée, peut mener des actes d’investigation, allant jusque la saisie de données, je le rappelle, sans qu’une seule fois, un juge, en soit tenu au courant !
Madame la Ministre, vous avez cité les agents de la CNIL : mais vous oubliez de dire que, ces agents agissent sous l’autorité du procureur de la République, qui peut s’y opposer !
Votre projet de loi préfère sacrifier les droits fondamentaux sur l’autel de l’efficacité et du chiffre !
Ainsi, la politique du chiffre nous revient, et c’est absolument scandaleux !
Ce texte fait fi des principes constitutionnels, pourtant rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin, pour confier à des entreprises privées, le soin de récolter des preuves qui relèvent normalement du pouvoir judiciaire !
Cela a des conséquences importantes dans la procédure qui s’en suivra : la compétence du juge qui devra statuer se retrouve donc liée, puisque il ne pourra se prononcer que, sur la base des éléments qui lui auront été fournis par l’HADOPI: des preuves dont la récolte n’aura pas été contrôlée, et dont la loyauté est douteuse, en l’absence de contrôle judiciaire !
C’est une méthode qui est dangereuse pour les libertés publiques, puisqu’elle organise en réalité le » muselage » des juges, au profit d’officines privées !
Madame la ministre, nos juges ne sont pas des chambres d’enregistrement, ni les pourvoyeurs d’une justice expéditive et secrète !
Ils sont l’incarnation du pouvoir judiciaire, et à ce titre, les garants des libertés individuelles en vertu de notre Constitution !
Mes chers collègues, ce texte est un bricolage juridique qui n’a d’autre but, que de sauver les meubles, dans la précipitation et l’impuissance à trouver une solution, aussi respectueuse des droits de la défense, que de ceux, des auteurs et leurs ayants droits.
Cet équilibre, nous aurions peut-être pu le trouver au sein de la Commission des lois, si celle-ci, dont je suis membre, avait été saisie, au moins pour avis !
Or, vous avez soigneusement évité de consulter au fond la commission des lois, pour une raison simple : vous connaissez notre méfiance à l’égard des procédures expéditives, qui trop souvent s’assoient sur les principes constitutionnels.
Deuxièmement : l’absence de garanties d’un procès équitable
Dans votre texte, la personne qui est poursuivie ne pourra pas automatiquement être entendue, par les membres de la commission de protection des droits.
En effet, il prévu que cette commission » peut » recueillir les observations des personnes mises en cause.
Il s’agit donc d’une possibilité, qui repose sur le bon vouloir de cette commission, au gré de son humeur et du nombre d’affaires à traiter !
Certains auront droit de s’exprimer, et d’autres pas : en somme, des garanties à géométrie variable !
Mes chers collègues, le principe du droit à un procès équitable commande, que toute personne mise en cause, soit convoquée afin de faire valoir ses observations et, soit informée des charges qui sont retenues contre elle (article préliminaire du code de procédure pénale). Ainsi le veut, non seulement l’article préliminaire du code de procédure pénale, mais également l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme !
Et les principes directeurs du procès équitable ne s’appliquent pas, seulement, au prononcé d’une sanction. Ils irriguent toute la procédure en amont, qu’elle soit pénale, administrative ou fiscale !
En conséquence, la procédure, que vous nous présentez, ne respecte pas le droit à un procès équitable.
Troisièmement : la violation du principe de la présomption d’innocence
Dans le cadre de la procédure prévue, ce n’est plus le Parquet qui instruit, mais une autorité indépendante !
Le juge est écarté, et l’HADOPI agit comme une autorité, investie de pouvoirs d’enquête, au mépris du principe de la présomption d’innocence.
En effet, il est prévu que la culpabilité de la personne est établie sur la base de constats d’infractions, portés sur un procès-verbal. Ce même procès verbal est réputé, par votre texte, faire foi jusqu’à preuve du contraire.
Donc, il faut en déduire que, la personne poursuivie doit apporter la preuve contraire.
Or, en droit pénal, ce n’est pas, à la personne poursuivie, d’apporter la preuve de son innocence : c’est justement ce que signifie » la présomption d’innocence » ! C’est au Parquet, de fournir les preuves de la culpabilité, et il faut se rendre à l’évidence : il est totalement absent de votre dispositif !
Votre système organise un renversement complet de la charge de la preuve, qui est contraire à l’article 9 de la Déclaration de 1789.
Quatrièmement : le recours abusif à la procédure simplifiée
Le recours à l’ordonnance pénale pour juger les infractions de contrefaçon est un non sens absolu.
C’est même, à mon avis, un détournement de procédure que d’y recourir!
Ceux qui ont lu, les propositions de la Commission sur la répartition des contentieux, présidée par Monsieur Guinchard, savent que le développement de telles procédures ne sont pas recommandées. Nous avons d’ailleurs, dans le cadre de la loi de simplification du droit, repoussé le recours à de telles procédures, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice dans plusieurs contentieux.
Le Gouvernement connaît la méfiance de la Commission des lois du Sénat, à l’égard de ces procédures expéditives, et c’est certainement, une raison supplémentaire, pour laquelle, la Commission des Lois a été simplement écartée, de l’examen de ce projet de loi !
Ces ordonnances pénales sont habituellement réservées aux infractions » simples et parfaitement constituées « . Comme les infractions routières : en général, il n’y a pas de doute sur la culpabilité de l’auteur de l’infraction, par exemple grâce à un éthylotest, et aucune ambiguïté sur l’identité de l’auteur, et l’imputabilité de l’infraction : c’est souvent celui qui conduisait la voiture qui souffle dans le ballon pour constater le taux d’alcoolémie et donc l’infraction !
Mais dans le cas de la contrefaçon sur Internet, les choses ne sont pas aussi évidentes !
En l’occurrence, le support, qui permettra au juge de rendre son ordonnance pénale, est le procès verbal, établi par la commission de protection des droits, qui est loin de présenter toutes les garanties de fiabilité : par exemple, il n’y a aucune certitude sur l’identité de l’auteur, vous le savez, puisque n’importe qui peut s’emparer d’une adresse IP…
Les logiciels visant à pirater les adresses IP sont d’ailleurs déjà disponibles!
Le juge ne disposera d’aucun élément lui permettant de statuer, autres que ceux fournis par le procès verbal.
Il ne cherchera donc pas plus loin, et prononcera les peines de manière quasi-automatique.
Ainsi, Il s’agit d’une présomption de culpabilité, contraire à notre droit, puisque le juge n’exerce, in fine, aucun contrôle sur l’établissement de la culpabilité.
Cette procédure est également contraire au principe de proportionnalité : comment serait-il possible de rendre une décision, dont la peine serait proportionnelle à la gravité de l’infraction, si, ni l’identité de l’auteur n’est établie avec certitude, ni la véracité de l’infraction est incontestable ?
Mais chers collègues, nous voyons bien qu’en réalité, il s’agit d’organiser une justice expéditive, afin de permettre au juge, de rendre toujours plus d’ordonnances pénales…
En somme, faire de l’abattage judiciaire !
Selon les statistiques à notre connaissance, un juge rend environ 120 ordonnances pénales par semaine, soit 15 000 environ par an. Et c’est pour ces raisons, que l’ordonnance pénale a été choisie : pas de présence du prévenu, pas de droit à la représentation, bref, une justice au rabais.
En principe, le système du juge unique permet de mieux prendre en compte les droits de la défense de l’individu : il existe une confrontation, et donc une présence physique de l’individu, apte à assurer sa défense.
Mais il reste que, ce dispositif est une dérogation au principe de collégialité, laquelle constitue un rempart contre la justice secrète, ou les égarements individuels de juges, et donc une garantie de justice équitable.
Mes chers collègues,
Nous devons réellement nous demander, à qui va bénéficier ce projet de loi ?
Un CD à 15 euros, dont le prix de revient réel est de 7 euros, rapporte exactement 70 centimes aux auteurs. Quand ils sont 5, cela fait 14 centimes pour chaque artiste intervenant dans ce CD : n’y a-t-il pas d’autres chantiers, pour mieux valoriser leur travail, que la régulation pénale et répressive ?
Permettez-moi de vous le dire en toute franchise : ce texte est une insulte !
Une insulte à l’égard des juges, une insulte à l’égard de nos règles constitutionnelles, en matière de présomption d’innocence et de droit à un procès équitable, et enfin, une insulte à l’égard des parlementaires, saisis d’un texte mal rédigé, incomplet et inconstitutionnel.
Donnez-nous la possibilité de modifier ce texte par voie d’amendements, afin de le rendre acceptable.
A défaut, le Conseil constitutionnel s’en chargera !
Je regrette, mais en l’état, les élus Verts ne peuvent pas le soutenir…
Je vous remercie.
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