Mercredi, les députés ont achevé l’examen de l’article 2 du nouveau projet de loi Hadopi, qui prévoit le recours à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale pour le prononcé des sanctions en matière de téléchargement. Les députés de l’opposition ont prévenu, en vain, d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.

Dans un climat d’abord électrifié par la violation « exceptionnelle » mais assumée du règlement de l’Assemblée Nationale, les députés ont poursuivi mercredi l’examen du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet. Ils sont entrés au coeur de la procédure expresse imaginée par le gouvernement, en votant l’article 2 du projet de loi qui pose le principe du recours à l’ordonnance pénale pour les délits de contrefaçon commis sur Internet.

Concrètement, l’Hadopi transmettra aux parquets les dossiers qu’elle aura préalablement préparé, pour que les juges décident des sanctions prévues par la loi. Le procureur décidera alors le plus souvent de recourir à l’ordonnance pénale, c’est-à-dire de demander à un juge unique de statuer par écrit et sans audition de l’abonné, pour prononcer une amende et/ou la suspension de l’abonnement à Internet. L’abonné qui reçoit notification de l’ordonnance pourra alors l’accepter, ou s’opposer à la procédure et demander à bénéficier d’une audience correctionnelle devant un collège de magistrats, avec le risque implicite d’écoper de sanctions plus lourdes. Un chantage légal dont ne s’est d’ailleurs pas caché le ministère de la Culture.

La procédure, toutefois, a été vivement contestée par les députés de l’opposition qui ont promis la censure du Conseil constitutionnel.Alors que le député UMP Philippe Gosselin y voit une procédure « rapide, simple, bien sûr respectueuse des droits des individus, mais aussi efficace« , le député socialiste socialiste Jean-Louis Gagnaire dénonce une « justice au rabais qui souhaite tordre le mécano pour pouvoir élargir la liste des délits qui peuvent relever du travail d’un seul magistrat« .

« Votre seule préoccupation c’est de créer une société de surveillance où chacun se sentira traqué« , résumait également le député socialiste Alain Muet.

Très impliqué sur les aspects juridiques du projet de loi, le député Jean-Yves Le Bouillonnec est une nouvelle fois monté au front pour dénoncer le mécanisme. Il a notamment rappelé l’obligation faite au code de procédure de procédure pénale de procéder d’abord à une enquête de police judiciaire avant de recourir à l’ordonnance. Or, selon l’opposition, la constatation des infractions réalisée par l’Hadopi n’est pas une enquête judiciaire. « Pour arriver à l’ordonnance pénale, il faut que les faits soient établis par la police judiciaire. Comment les agents de l’Hadopi constatent-ils les faits ?« , a demandé l’ancienne Garde des Sceaux Marylise Lebranchu. Le projet de loi Hadopi 2 crée une « ordonnance pénale bâtie par des faits qui ne sont pas établis par la police judiciaire, mais simplement sur une déclaration qui établit que sur telle adresse IP quelqu’un a téléchargé« , a-t-elle insisté pour montrer la différence entre un téléchargement et une infraction routière constatée de visu par un policier.

Dénonçant « des fantasmes » de la part de l’opposition, Michèle Alliot-Marie s’est voulue intransigeante et sûre d’elle. Comme l’avaient été en leur temps Renaud Donnedieu de Vabres et Christine Albanel, avant que leurs textes respectifs ne soient en partie censurés par le Conseil constitutionnel. Elle a estimé que « la procédure d’ordonnance pénale respecte les exigences (du code de procédure pénale)« , et indiqué qu’elle suivrait une « procédure d’enquête de police judiciaire menée par les agents de l’Hadopi« , et « éventuellement par la police et la gendarmerie« . Les agents de l’Hadopi disposeront donc des mêmes prérogatives que la police judiciaire pour dresser les procès-verbaux d’infraction.

Selon la ministre de la justice, le recours au juge unique est « nécessaire pour simplifier le traitement de ce contentieux« . « Il s’agit d’un problème que l’on essaye de traiter de manière pragmatique, arrêtons de fantasmer« , a-t-elle demandé à l’opposiion.

Jean-Yves Le Bouillonnec avait également noté que la contrefaçon deviendrait le premier cas d’infraction passible d’emprisonnement que les parquets pourraient traiter par voie d’ordonnance. Mais Michèle Alliot-Marie a précisé que dans le cas où une telle sanction risquait d’être prononcée, le recours au tribunal correctionnel serait automatique.

Enfin, l’opposition a bataillé sur le dernier alinéa de l’article 2, ajouté en commission par le rapporteur Frank Riester, qui prévoit de donner aux ayants droit la possibilité de demander des dommages et intérêts via l’ordonnance pénale. Il était jusque là constant en droit que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale excluait les parties civiles de leur droit à dédommagement, et qu’elles devaient donc recourir à la procédure contradictoire classique pour retrouver le bénéfice de l’indemnisation. Mais l’industrie culturelle n’est pas dans le droit constant. « Cette exception que l’on ajoute à l’exception n’est réservée qu’aux ayants droit« , a fait remarquer Patrick Bloche, critiquant une « rupture d’égalité » qui sera dénoncée dans le recours au Conseil constitutionnel. M. Le Bouillonnec a lui expliqué que l’ordonnance pénale excluait de fait les dommages et intérêts, puisque le caractère non contradictoire de l’ordonnance fait que seule la partie qui demande réparation serait entendue, ce qui déséquilibrerait la procédure au profit de la partie indemnisée. Un point auquel les sages ne pourraient rester insensible.

Mais « il y a des victimes dans le téléchargement illégal, nous devons aussi penser à eux et à la réparation de leur préjudice« , a simplement répondu Frank Riester. Et c’est bien pour ne penser qu’aux victimes que le gouvernement et la majorité risquent une nouvelle fois la censure du Conseil constitutionnel.

Le débat reprend ce jeudi à 9h30, à suivre sur hadopi.numerama.com.

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