(CC reebob)
« On vous la coupe ». Les juges pourront bientôt prononcer cette phrase s’ils ont face à eux l’auteur d’un téléchargement illégal auquel ils souhaitent suspendre la connexion à Internet en représailles. Les députés ont en effet adopté jeudi l’article 3 du projet de loi de protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2), qui prévoit que les personnes coupables de contrefaçon sur Internet sont passibles d’une peine complémentaire ou alternative de « suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre (abonnement)« .
Les amendements contraires ayant été rejetés, les personnes dont l’accès à Internet aura été suspendu devront continuer à payer leur abonnement tous les mois comme si de rien était. « Le montant considéré n’est quand même pas immense« , a jugé Frédéric Mitterrand en réponse aux protestations socialistes qui jugeaient le principe « absolument scandaleux« . « Je conçois que ça soit très dommageable, mais nul n’est obligé de violer la loi« , a-t-il ajouté. Inflexible, alors que les sommes en jeu sont ridicules au regard du chiffre d’affaires des entreprises de télécoms, le gouvernement veut en fait éviter aux FAI l’obligation de détailler le prix de chacune des prestations attachées au triple-play, ce qui les obligerait à fournir l’accès à Internet seul à un prix très réduit.
« Vous venez de légiférer en faveur des fausses factures« , a résumé le député Jean Gaubert, qui note que les FAI vont « percevoir une somme pour un service qu’elle ne rend pas« . La comparaison de Michèle Alliot-Marie avec les assurances que les automobilistes doivent souscrire même en cas de suspension de permis ne tient pas puisque c’est alors le véhicule qui est assuré, et qu’il peut toujours être conduit par des conducteurs qui ont encore le permis. Contrairement à Internet qui est coupé pour tout le foyer.
Est ensuite venue la question, sans aucun doute plus grave, de la négligence caractérisée. Puisque le gouvernement sait qu’il ne sera pas simple d’identifier le contrefacteur alors qu’une adresse IP n’est pas l’équivalent d’une empreinte digitale ou ADN, l’idée est de sanctionner celui qui est titulaire de l’accès à Internet utilisé pour télécharger illégalement. Sous l’effet de l’article 3 bis du projet de loi, une amende et une suspension de l’accès à Internet d’un mois peuvent être prononcés « en cas de négligence caractérisée » de l’abonné auquel l’Hadopi aura déjà adressé par le passé par lettre recommandée une « recommandation l’invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à Internet« .
« On touche l’absurde le plus absolu dans cette loi« , fusillait immédiatement Patrick Bloche, qui a fait remarquer que le seul cas prévu dans la loi de responsabilité pour « négligence caractérisée » était dans la loi de 2000 sur la responsabilité pénale des élus. Se servir du concept « pour sanctionner un abonné pour défaut de sécurisation de sa ligne, il faut être vraiment tordu« .
Les députés de l’opposition ont promis la censure du Conseil constitutionnel, tout comme le député UMP Lionel Tardy qui a pointé du doigt une disposition qui « méconnaît le principe de légalité des délits et des peines« , qui veut qu’une sanction ne soit constitutionnelle que si les faits constitutifs du délit sont définis de manière suffisamment précise et compréhensible pour le justiciable. Réponse de Michèle Alliot-Marie : il ne s’agit pas d’un délit, mais d’une contravention. Ca n’est donc pas le Conseil constitutionnel qui sera compétent pour en décider, mais le Conseil d’Etat qui appréciera le décret précisant la définition de l’infraction. Et ça tombe bien, comme nous l’avions révélé, les Socialistes ont déjà prévu de le saisir.
« La loi n’impose aucun type de sécurisation en particulier« , a voulu rassurer Michèle Alliot-Marie. « Il appartient à l’abonné d’utiliser les solutions informatiques qui seront proposées, soit à titre gratuit, soit à titre payant. Ca n’est pas la défaillance de la technologie qui sera sanctionnée par la contravention, ce sera l’absence de réaction de l’abonné après les recommandations« . L’abonné devra protéger sa ligne « en bon père de famille« , a précisé la Garde des Sceaux, qui a expliqué qu’il s’agissait d’une obligation de moyens et non de résultat.
Mais « il faudra prouver concrètement que l’abonné n’a rien fait pour sécuriser sa ligne« , s’est inquiété Lionel Tardy. « Comment l’Hadopi va-t-elle réunir les preuves ? L’abonné peut avoir tenté quelque-chose mais ne pas y avoir réussi…« .
« Ce sera au juge d’apprécier l’existence de la négligence caractérisée, qui devra être démontrée par l’accusation. Il n’y a pas de présomption de faute« , a précisé Michèle Alliot-Marie. « C’est l’accusation qui doit faire la démonstration. Ca veut dire que la négligence pourra être caractérisée principalement par le fait que l’abonné a été préalablement averti à deux reprises pour n’avoir pas mis en place un moyen de sécurisation alors que la préconisation lui avait été faite par l’Hadopi« .
La ministre de la Justice semble donc penser que l’observation de téléchargements illégaux successifs sur la ligne d’un abonné est un élément de preuve de la non sécurisation de l’accès, signe de « négligence caractérisée », alors que c’est au mieux une preuve de défaut d’efficacité de la sécurité mise en place. Sauf à installer un mouchard permanent, comme ça avait été envisagé au temps de Christine Albanel, la preuve est inopérante. « Soit le parquet demande une perquisition pour vérifier qu’il y a bien un moyen de sécurisation installé, et activé, sinon c’est de la poudre aux yeux« , analysait ainsi Martine Billard.
Mieux, la simple installation d’un logiciel de sécurisation labellisé par l’Hadopi sur n’importe quel poste du foyer pourrait exonérer de toute responsabilité l’abonné, qui continuera à pirater en toute quiétude. S’il est inquiété au titre de la contrefaçon, il pourra en effet toujours prétendre n’être pas l’auteur du téléchargement, sans que quiconque puisse là encore apporter une preuve contraire.
Malgré les démonstrations juridiques et techniques de l’inefficacité et de la probable illégalité de la mesure, le gouvernement n’a pas souhaité jeudi supprimer l’article qu’avait introduit le Sénat. Car c’est une question de principe, et une première pierre. « Il y aura dans les années qui viennent un vrai sujet de travail pour nous-mêmes, c’est la sécurisation des accès à Internet« , a ainsi avancé Frank Riester.
Les débats reprennent vendredi à 9h30, à suivre en direct sur hadopi.numerama.com.
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