Peut-être ne connaissez-vous pas encore Christophe Lameignère, président de Sony Music France. Lors de la conférence de presse du SNEP sur les chiffres du marché du disque, le PDG en a profité pour fustiger les militants anti-Hadopi qui non seulement ne font rien pour la création, mais en plus utilisent des méthodes totalitaires et sont dans une logique de dénonciation. Ces personnes ne « sont que des voleurs à la petite semaine planqués derrière leur ordinateur qui n’ont jamais rien fait pour la création« . Ambiance.
Dans ce genre d’interventions aussi brèves, où il est surtout question de faire passer un maximum de mots-clés en un minimum de temps (voleur, dénonciation, totalitarisme, planqués, anti-démocratique…), il est toujours délicat de séparer le bon grain de l’ivraie. Pourtant, si l’exercice peut paraitre fastidieux, il apparait toujours nécessaire de démêler le vrai du faux et de prendre le temps de faire le point sur ces différentes affirmations.
Revenons tout d’abord sur les termes du débat. Depuis sans doute dix ans, les ayants droit assimilent le téléchargement illicite sur Internet à du vol. Et depuis au moins aussi longtemps, de nombreuses voix s’élèvent pour contester l’utilisation de cette terminologie, impropre au regard de la situation. Non, les internautes ne volent pas lorsqu’ils téléchargent des contenus protégés sur le web. Certes, ce n’est pas pour autant licite (du moins, à l’heure actuelle), mais ce n’est définitivement pas du vol.
Aux termes des articles L335-2 et L335-3 du Code la Propriété Intellectuelle français, « constitue une contrefaçon l’atteinte à un droit exclusif de la propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de propriété littéraire ou artistique (droit d’auteur ou droits voisins) ou de propriété industrielle (brevet, marque, dessin ou modèle« . De plus, « est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi« .
Ainsi, l’échange de fichiers protégés par le droit d’auteur (comme une musique ou un film non disponible dans le domaine public par exemple) est assimilé au délit contrefaçon, mais pas un vol. Bien entendu, cela n’autorise pas davantage l’internaute à poursuivre ses activités illicites sur le web. Cela n’induit pas non plus que l’auteur n’aurait pas le droit de prétendre à une juste rémunération. D’ailleurs, on relèvera que la contrefaçon est plus sévèrement punie que le vol : 300 000 euros d’amendes contre 45 000.
Le vol implique une dépossession. Or, dans le cas du téléchargement sur Internet, difficile de déposséder quelqu’un au regard de la nature des fichiers numériques. Mieux, la contrefaçon produit une nouvelle copie. Elle enrichit là où le vol appauvrit. Le préjudice causé par la contrefaçon est d’un autre ordre, puisqu’il porte sur un manque à gagner potentiel. C’est un préjudice patrimonial qui ne coûte pas un centime à l’ayant droit : les frais de reproduction et de représentation sont pris en charge par le contrefacteur, comme le rappelle régulièrement maitre Eolas sur son weblog juridique.
Ainsi, le vol est une atteinte à la propriété, tandis que la contrefaçon est une atteinte au monopole d’exploitation. Comme le souligne l’avocat français le plus célèbre du web, vouloir qualifier de vol ce qui ne l’est pas est une manœuvre opérée depuis longtemps par les ayants droit. Déjà à l’époque, la SACEM assimilait le téléchargement de musique au vol de baguette dans une boulangerie. Ce qui est un hold-up intellectuel.
Bien entendu, nous pourrions disserter longuement sur les questions de vol, de propriété, de contrefaçon et de valeur, mais au regard de la loi, et en particulier du Code de la Propriété Intellectuelle, il semble que pour l’heure, les juges ont statué dans ce sens et pas dans l’autre. C’est là toute la différence fondamentale entre le vol et la copie, donc la contrefaçon.
L’autre assertion présentée par Christophe Lameignère voudrait que les internautes ne soient absolument pas des créatifs. En clair, les internautes n’ont jamais rien fait pour la création. Et nous de nous demander si le PDG de Sony n’a jamais fait un tour sur les plates-formes vidéos comme YouTube, Dailymotion ou Vimeo. N-a-t-il jamais passé du temps sur DeviantART ou Flickr ? Observer la croissance de projets libres comme Linux ou Wikipédia ?
Jamais les « user generated contents » (contenus générés par l’utilisateur) n’ont été aussi nombreux grâce à Internet. Pour prendre l’exemple de YouTube, la plate-forme vidéo la plus populaire à l’heure actuelle, son succès est uniquement dû aux centaines de milliers de vidéos plus ou moins réussies et réalisées par de nombreux passionnés à travers le monde. Cinq ans plus tard, pas moins de 10 heures de vidéos sont mises en ligne chaque minute sur YouTube.
Et puis, au-delà de la création en elle-même, les internautes proposent de longue date de nouvelles pistes de réflexion sur des solutions pour la propriété intellectuelle et le droit d’auteur à l’heure du XXIe siècle et de l’avènement du numérique dans nos vies. Ainsi, dès 2004 Numerama s’intéressait au concept de licence globale, idée qui était revenue en force lors des débats de la DADVSI deux ans plus tard et plus récemment lors du triste épisode de la loi Hadopi.
Bien évidemment, personne n’affirme que le système imaginé est parfait ; il est sans aucun doute perfectible, mais nous irions dans le bon sens si le législateur et les principaux intéressés pouvaient au minimum s’intéresser à ce genre de suggestions, plutôt que de les balayer du revers de la main. Mais quoiqu’il en soit, les internautes sont particulièrement concernés par la création, qui n’est d’ailleurs nullement le monopole des artistes. À l’ère du numérique, chacun est un créatif en puissance, pourvu qu’il ait le déclic.
Quand à l’offre légale qui n’intéresse visiblement pas le public (français ?), encore faudrait-il que celle-ci ne fasse pas l’impasse sur certains artistes absolument incontournables dans l’histoire musicale moderne. Que les ayants droit se disent victime du téléchargement illicite, c’est une chose. Mais que ces derniers avancent à reculons sur la numérisation de certaines œuvres, cela ne peut que laisser sceptique. Ainsi, nous déplorons que le catalogue des Beatles ne soit toujours pas disponible légalement sur le net. Dès lors, doit-on s’étonner de voir fleurir les alternatives illégales ?
Depuis au moins dix ans l’intégralité des Beatles circule déjà sur les réseaux peer-to-peer, numérisée par des passionnés et distribuée par les internautes. Depuis près d’une semaine, avant-même sa sortie dans les bacs, l’intégralité des Beatles remastérisée est disponible notamment sur BitTorrent, y compris encodée au format FLAC (Free Lossless Audio Codec) sans perte de qualité. Gratuitement. Que faut-il pour convaincre EMI qu’il est grand temps de signer ? Visiblement, un miracle.
Il est d’ailleurs particulièrement savoureux d’être considéré comme des « anti-démocrates totalitaires » par les mêmes personnes ayant soutenues un projet de loi qui a justement été particulièrement critiqué pour sa démarche peu démocratique. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel, saisi par divers groupes de l’opposition, n’a pas manqué de vider le texte de son essence. À la sortie, ce n’était plus qu’un amas d’articles en état de mort clinique, rafistolé en urgence par le gouvernement pour un deuxième round dans quelques jours.
Enfin, last but not least, tous les artistes se sont déterminés en faveur de cette loi. Du moins est-ce ainsi que les choses ont été présentées par Christophe Lameignère. Mais on se souvient tous avec quelle rigueur fut composée la fameuse pétition de la SACEM réunissant pas moins de 10 000 artistes, dont la très célèbre DTC Lola. Enfin, on pourrait en écrire des pages et des pages, mais tant que ces différents acteurs tiendront des discours culpabilisants, produiront des projets de loi inconstitutionnels et considéreront les internautes comme des voleurs, on ne risque pas de faire évoluer d’une quelconque façon ce modèle économique.
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