Selon Reporters Sans Frontières, « la répression à outrance qui imprègne cette nouvelle mouture (de la loi Hadopi) risque de mettre en péril l’accès à l’information ». Employant une très jolie formule, l’association résume que « l’internaute coupable d’un « abus de la liberté d’expression » (tout piratage d’une œuvre protégée par des droits d’auteur est un « abus de la liberté de communication »), se voit condamné à une interdiction d’un an d’exercer son droit à la liberté d’expression et de communication via le média Internet. Interdiction de communiquer avec ses proches et amis par mail, msn, Twitter, Facebok, Skype, blogs et interdiction de recevoir des informations via Internet.
Elle rappelle que dans les autres cas d’abus de la liberté d’expression prévus par le droit (diffamation, propagation fausse nouvelle…), une telle sanction n’existe pas. « A-t-on jamais vu quelqu’un, condamné pour diffamation via la presse écrite, contraint de ne plus acheter de journaux, à ne plus en lire, et à ne plus s’exprimer par voie de presse écrite pendant un an ?« .
L’ONG reproche d’abord au gouvernement la méthode : « Un nouveau texte présenté quelques jours seulement après la censure des Sages, des débats dans l’urgence, une procédure accélérée : tout est fait pour que les députés n’aient pas le temps de réfléchir et débattre d’un projet qui présente des risques pour le droit d’accès à Internet, pourtant reconnu comme droit fondamental par le Parlement européen. Or, là est bien l’enjeu, qu’il s’agisse de la technique informatique utilisée pour déceler le piratage et la personne coupable, de la procédure ou de la sanction prévue« .
Par ailleurs, sur le fond, Reporters Sans Frontières multiplie les critiques à l’encontre du texte. « La technique employée pour filtrer le flux internet à la recherche de fichiers piratés n’est pas déterminée« , s’inquiète en premier lieu RSF, qui constate que « s’il s’agit d’un algorithme, il y a fort à craindre que celui-ci ne différencie pas une donnée légale d’une donnée illégale« . De plus, plus fondamentalement, « comment prouver l’innocence de celui dont l’adresse IP a été piratée, pour télécharger des fichiers illégaux, sans laisser de traces ?« .
Elle reproche également le choix de la procédure simplifiée, « celle où un juge unique édicte une ordonnance pénale sans la présence du prévenu ». Et dans des conditions qui, selon l’association, sont contraires aux principes constitutionnels de respect des droits de la défense. Il est en effet prévu « que les données téléchargées illégalement ne soient pas communiquées à l’accusé lors de l’ordonnance pénale« . Concrètement, sauf à ce qu’il demande des précisions à l’Hadopi, celui qui est accusé de piratage ne saura pas ce qu’il est accusé d’avoir piraté. L’association compare cette particularité aux « méthodes de censure antérieures à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse« . En effet, « le censeur était dispensé de rendre compte des motifs ou du contenu d’une censure à la personne concernée« . Or, « tels que définis par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre du procès équitable, ces droits impliquent que soient communiqués aux parties tous les documents du procès et de l’accusation au nom de l' »égalité des armes » et du « principe d’impartialité » du juge. »
Enfin, parce que la loi condamne non pas le piratage mais le fait de ne pas empêcher l’accès aux moyens de pirater, RSF estime que « selon le projet HADOPI 2, le simple fait d’aller sur une plateforme de téléchargement illégal rend coupable l’internaute qui n’a pourtant pas encore téléchargé » (ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque c’est bien la mise à disposition d’un fichier piraté qui sera sanctionné… pour le moment).
L’association, qui rappelle que le Parlement européen a déclaré l’accès à Internet comme un droit fondamental, estime que « la protection de la propriété littéraire et artistique ne doit pas être antinomique de la liberté d’expression« . « Celle-ci est la condition de la démocratie« , ajoute l’organisation dans des mots très proches de ceux employés par le Conseil constitutionnel. « Reporters sans frontières appelle donc les élus français à protéger ce droit fondamental« .
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