Nous nous sommes interdits de commenter jusqu’à ce soir ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Mitterrand ». Aussi vigoureuse que soit notre opposition au projet de loi Hadopi 2 défendu par le ministre de la Culture, il nous a semblé qu’il n’était pas dans le rôle de Numerama de commenter une affaire sans lien avec le numérique et le droit d’auteur. Mais au fond il nous semblait, sans mettre vraiment le doigt sur le lien précis, que « l’affaire » n’était pas totalement déconnectée de la loi Hadopi et plus généralement de la manière dont le gouvernement entend lutter contre le partage de fichiers en France.
Aussi ce soir, alors que Frédéric Mitterrand était l’invité de Laurence Ferrari sur le journal de 20H, nous avons finalement compris où se situait le lien. Il était là, perché droit comme une évidence. Il est dans la place que donne le gouvernement à « l’artiste » dans la hiérarchie des hommes.
Pour justifier son soutien très fort à Roman Polanski, pourtant accusé d’avoir abusé d’une jeune fille de 13 ans, Frédéric Mitterrand a eu des mots très simples : « je suis ministre de la Culture et de la Communication« .
« Le ministre de la Culture et de la Communication s’occupe des artistes et ne les abandonne pas« , a expliqué le successeur de Christine Albanel. « Lorsqu’il y a eu son arrestation l’émotion était très forte parmi toutes sortes d’artistes, il y a eu immédiatement une centaine de créateurs et d’artistes au Festival de Zurich qui ont signé une pétition« .
Voilà donc la clé.
Entendrait-on un ministre de l’agriculture dire, après qu’un fermier ait violé une fillette, que le ministre de l’agriculture n’abandonne pas les agriculteurs ? Ou un ministre de l’industrie assurer, devant un patron accusé de malversations, qu’il s’occupe des industriels et n’abandonne pas le patronnat ?
Pour une raison qui nous échappe, « l’artiste » bénéficie en France comme souvent ailleurs dans le monde d’un statut privilégié. Il n’est pas tout à fait homme, il est d’abord « artiste ». Il est différent. Et au nom de cette différence dont la raison profonde nous échappe, le gouvernement permet tout.
C’est au nom de la défense des artistes qu’il a fait voter par le Parlement une première loi Hadopi qui se voulait au dessus des droits fondamentaux des citoyens. Une loi qui violait la liberté d’expression, la liberté de communication, et les droits de la défense. C’est encore au nom des artistes qu’il a défendu avec le projet de loi Hadopi 2 une loi qui prévoit une condamnation sans audience, basée pourtant sur des preuves qui n’en sont pas, en créant une entorse au droit commun spécialement pour les artistes et les créateurs. C’est aussi au nom de la protection des artistes que le droit d’auteur est sans cesse allongé dans sa durée, contre toute logique économique et sociale, et qu’il est sans cesse étendu dans son périmètre. C’est au nom des artistes que l’on s’apprête à taxer les fournisseurs d’accès et les moteurs de recherche, donc les consommateurs, sans accorder aux citoyens de droits supplémentaires. Nous pourrions, longtemps, continuer la liste.
Or il faudra qu’un jour s’ouvre le débat fondamental de la place de l’artiste dans la hiérarchie des hommes. Car on semble avoir oublié que l’artiste n’est ni en dessous, ni au dessus des autres hommes, mais qu’il doit composer avec eux. Qu’il doit s’inscrire dans un nouveau contrat social le plus équilibré possible pour tous.
Les artistes gagneront en effet la respectabilité qu’ils méritent de retrouver le jour où ils exigeront de ceux qui prétendent les défendre qu’ils cessent de les placer au dessus du commun des hommes.
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