C’est donc hier jeudi 29 octobre qu’est enfin sortie la très attendue Bataille Hadopi. L’ouvrage collectif a rassemblé 40 auteurs d’horizons divers, tous convaincus que les débats sur la loi Hadopi n’étaient qu’une bataille menée dans une guerre plus générale pour la défense et la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux sur Internet. Le livre est toujours disponible sous ses trois formats collectors, mais également depuis hier soir en version numérique PDF (il sera proposé sous d’autres formats, notamment ouverts). Vous pouvez bien sûr le lire, l’imprimer, le diffuser sur les réseaux P2P ou sur les blogs, ou même le vendre et le rééditer sous d’autres formats, en toute liberté. L’ensemble est publié sous une double licence Creative Commons by-sa 2.0, et Licence Art Libre.
Voici la contribution que nous avions faites à l’ouvrage, dans un chapitre consacré aux accords Olivennes qui ont précédé la rédaction du projet de loi Création et Internet (Hadopi 1) :
Nicolas Sarkozy et les Accords de l’Elysée : du sur-mesure pour l’industrie culturelle
L’Histoire, la politique et la démocratie sont faits de symboles. Lorsque l’on reviendra sur l’Histoire de la présidence de Nicolas Sarkozy, les érudits se souviendront que les « Accords de l’Elysée » signés sous son toit, le 23 novembre 2007, n’étaient pas un traité de paix. Mais au contraire un pacte d’agression conclu entre le gouvernement et des industriels, à l’encontre des internautes. Donc à l’encontre des citoyens, du peuple français.
Fidèle à une promesse de longue date qu’il avait faite aux industries culturelles, le nouveau Président de la République a organisé dès juillet 2007 un rassemblement entre ayants droit et fournisseurs d’accès, autour d’un accord de sanction massive du téléchargement illégal sur Internet. Quatre mois plus tard, l’engagement était signé par tous les principaux FAI et organisations d’ayants droit. Une quarantaine de signataires, tous représentants d’intérêts commerciaux privés.
Le leitmotiv des accords de l’Elysée – avertir et punir les pirates récidivistes, n’est pas nouveau. Déjà en 2005 le projet de loi sur les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) avait suivi les recommandations des majors de l’industrie du disque pour imposer des amendes aux petits téléchargeurs du dimanche. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur et président de l’UMP en campagne, avait invité les représentants de l’industrie culturelle place de Beauveau pour les rassurer sur ce dessein lorsqu’au palais Bourbon, à la veille de Noël, un mouvement de fronde avait abouti de manière éphémère à l’adoption de la licence globale. Déjà, l’engagement de Nicolas Sarkozy en faveur de la « riposte graduée » était total. Mais il fut retardé, une première fois, par la censure du Conseil constitutionnel.
C’est donc pour revenir à la charge avec un mécanisme pensé pour contourner l’avis des sages que Nicolas Sarkozy a fait signer très vite après son accession à la présidence les accords de l’Elysée, préludes à la loi Hadopi. Tout avait déjà été réglé, il ne restait plus au Président et aux lobbies qu’à trouver le parfait homme de paille pour régler les derniers détails et feindre un processus de concertation démocratique.
Le choix stratégique de Denis Olivennes
Pour réaliser cette mission, on souffle à Nicolas Sarkozy le nom d’un candidat de choix en la personne de Denis Olivennes, alors président de la FNAC. L’homme a le profil idéal pour diriger une mission fantoche et conclure les accords. Enarque, ancien conseiller de Pierre Bérégovoy, il connaît parfaitement les rouages de l’administration et le fonctionnement du monde politique. Il a aussi une forte expérience des affaires et un réseau constitué aussi bien dans l’industrie culturelle (il a dirigé Canal+ et la FNAC) que dans le monde des télécoms (Numericable). Cerise sur le gâteau, Olivennes fait partie du groupe des « Gracques » de sensibilité socialiste, ce qui doit être un signe d’ouverture lors de sa désignation.
Peu s’offusquent alors de voir le président de la FNAC, premier vendeur de disques en France, prendre la tête d’une mission gouvernementale destinée en substance à contraindre les clients de son enseigne à continuer à consommer la musique de ses fournisseurs. C’est pourtant bien ès-qualités qu’il est désigné. La lettre de mission signée par la ministre de la Culture Christine Albanel le 26 juillet 2007 est en effet adressée à « Monsieur Denis Olivennes, Président directeur général de la FNAC« . On imagine le remous si l’on avait demandé à Michel Edouard-Leclerc de présider une commission sur le prix du lait dans la grande distribution…
Selon la lettre, Denis Olivennes a été choisi pour son « expérience professionnelle, ainsi que la hauteur de vues manifestée à l’occasion de (ses) prises de position dans le débat public« . Albanel fait référence à un ouvrage écrit quelques mois plus tôt, qui a ravi le tout Paris de l’industrie culturelle. Au début de l’année 2007, Denis Olivennes avait en effet eu l’idée clairvoyante de publier chez Grasset un petit livre au titre sans ambiguïté, contre le téléchargement : « La gratuité, c’est le vol : Quand le piratage tue la culture ». Il y préconisait déjà « une lutte efficace contre le téléchargement sauvage« , assise sur la responsabilisation des fournisseurs d’accès, complétée par un développement de l’offre légale sur Internet. En somme, ce que promettront plus tard les accords de l’Elysée.
En désignant Denis Olivennes « pour conduire une mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d’un accord entre professionnels » contre le piratage, le gouvernement et les professionnels de la culturel connaissaient déjà d’avance les conclusions.
Pour éviter tout dérapage, la mission n’a été composée que d’un nombre très resserré de trois membres, triés sur le volet. Olivier Bomsel, l’économiste censé apporter sa caution universitaire aux discours catastrophistes sur l’impact du piratage, a lui-même publié en mars 2007 chez Gallimard un livre fouillé, « Gratuit ! », qui fustige la généralisation des échanges gratuits sur Internet. Partisan notoire de la lutte contre le piratage, il est aussi… producteur de films et de séries TV. Un bel exemple de neutralité. Passons plus rapidement sur Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du Conseil d’orientation du Forum des Droits sur l’Internet, et Pascal Faure, vice-président du Conseil Général des Technologies de l’Information. Tous les deux sont par leurs fonctions dépendants du gouvernement.
Un rapport et des accords qui font perdre son temps à l’offre légale
En novembre, la mission Olivennes rend un rapport de 25 pages, dont deux seulement sont consacrées à l’incitation du développement de l’offre légale. Le reste vise à présenter et légitimer les actions répressives qui devront être mises en place avec l’adoption de la loi Hadopi. Les fournisseurs d’accès acceptent de participer au lynchage de leurs clients, dans l’espoir de bénéficier d’un accès aux catalogues des majors et de devenir eux-mêmes les vendeurs privilégiés de films et de musique sur Internet.
Obtenue de main de maître, la signature des Accords de l’Elysée est chaudement saluée par Nicolas Sarkozy. Dans un élan de néo-colonialisme numérique, il veut y voir le début d’une « campagne de » civilisation » des nouveaux réseaux » menée par la France.
Précis dans le volet répressif, qui détaille ce que deviendra la loi Hadopi première du nom (création d’une autorité administrative chargée de délivrer avertissements puis sanctions contre les internautes, y compris jusqu’à la suspension de l’accès à Internet, sur dénonciation des ayants droit), les accords de l’Elysée sont en revanche très timides sur le développement de l’offre légale. Les révisions de la chronologie des médias et autres abandons des verrous numériques (DRM) sur la musique en ligne ne sont évoqués qu’avec prudence et timidité, sous la condition d’une mise en œuvre préalable des sanctions.
Comme le rapport Olivennes le laissait présager, la priorité des accords de l’Elysée n’était pas d’inciter l’offre légale à devenir plus concurrentielle face au piratage, mais bien de le sanctionner massivement pour obliger les consommateurs réfractaires à consommer. Depuis, presque deux ans après la signature des accords calqués sur les désirs des industries culturelles, l’offre légale en France reste léthargique, mise en attente d’une disparition miraculeuse du piratage.
Les accords de l’Elysée dont se gargarisait Nicolas Sarkozy ont, eux, été sévèrement critiqués par l’un des principaux signataires. Xavier Niel, patron de Free, deuxième FAI du pays, a assuré l’an dernier avoir en réalité « signé une feuille blanche » et découvert seulement dans un communiqué de presse le contenu des accords. Depuis, l’opérateur attend toujours la précieuse licence de téléphonie mobile qui lui avait été implicitement promise en échange de sa signature…
Guillaume Champeau
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