Mise à jour : une source proche du dossier nous fait savoir que Gallimard ne souhaite pas dire que « les contenus français sont destinés à un public français », comme ça a été d’abord rapporté sur Wikisource. Mais que « le site Wikisource vise un public français et, par conséquent, d’après les règles françaises de conflit de lois, le droit d’auteur s’applique à ce contenu ». L’éditeur semble ainsi souhaiter que les Français ne puissent pas accéder aux œuvres protégées qui seraient libres de droit ailleurs, mais demande le retrait des œuvres dans les cas où un tel blocage ne serait pas possible. C’est notamment ce que prévoit le site ebooksgratuits.com, qui propose un filtrage géographique.
L’affaire fait assez logiquement bondir dans les milieux littéraires numériques. Le mois dernier, l’éditeur français Gallimard a enjoint le site collaboratif américain Wikisource (créé par l’éditeur de Wikipedia) à retirer de ses serveurs toutes reproductions des œuvres de Paul Eluard, André Gide, Jean Giono, Paul Valéry, Guillaume Apollinaire, Jean-Pierre Calloc’h, Robert Desnos, Max Jacob, Charles Péguy, Louis Pergaud, Victor Segalen, et Jean de la Vile de Mirmont. Autant d’auteurs morts depuis plus de 50 ans dont les textes sont désormais libres de droit au Québec, mais qui ne sont pas morts depuis assez longtemps pour que leurs œuvres soient également libres de droit en France.
Dans l’hexagone, au décès de l’auteur le droit d’auteur persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours au moment du décès, et pendant les 70 années qui suivent. En principe, toutes les œuvres des auteurs décédés avant 1940 (comme Apollinaire, Pergaud, Segalen, Péguy…) devraient donc être libres de droit en France depuis le 1er janvier.
Mais pour un motif qui n’a absolument rien de culturel et tout d’un patriotisme instrumentalisé à des fins économiques, les auteurs « morts pour la France » voient leurs droits prorogés de 30 ans. De même, les droits sont également prorogés de la durée (dans son entendement le plus large) des deux guerres mondiales. Les ayants droit bénéficient ainsi d’une protection prorogée de 6 années et 152 jours pour la première guerre mondiale et de 8 ans et 263 jours pour la seconde. Le législateur a estimé que pendant ces quelques quinze années cumulées, les auteurs n’avaient pas pu exploiter normalement leurs œuvres. On n’a pas compensé le manque à gagner des boulangers qui n’ont pas pu vendre de pain ou les bouchers qui n’avaient plus de viande à vendre, mais l’auteur a un statut privilégié, au sens quasi ancien-régime du terme. Ce qui fait que les œuvres de nombreux auteurs morts il y a bientôt 100 ans ne peuvent toujours pas être reproduites librement en France.
Mort pour la France en 1918, Apollinaire ne sera ainsi dans le domaine public qu’en 2034 ! (1918 + 70 ans + 30 ans + 15 ans = droits d’auteur maintenus jusqu’à la fin de l’année 2033). Soit de très longues années après la libération des droits au Québec et dans d’autres pays francophones qui n’ont pas ni la même durée initiale de protection, ni les mêmes règles de prorogation.
Or à l’heure d’Internet, cela pose un problème important. Peut-on interdire aux internautes habitant des pays francophones de diffuser sur Internet des œuvres qui sont chez eux libres de droit, mais qui ne le sont pas encore en France ?
Pour Gallimard, la réponse ne fait pas de doute. L’éditeur a demandé à Wikisource, édité par la fondation américaine Wikimedia, de retirer les œuvres des auteurs invoqués au motif que « les contenus français visent un public français« . Selon Gallimard, tout contenu en français serait donc publié à l’intention des internautes français, et c’est donc le droit français qui s’applique en cas de conflit de droits.
Sur Internet, pour Gallimard, le droit d’auteur de France doit donc devenir universel et s’imposer à l’ensemble de la francophonie. Même si le Canada, par exemple, a jugé qu’une protection des droits de 50 ans post-mortem respectait davantage l’esprit du contrat social conclu entre les auteurs et la société civile.
Cette position énerve profondément François Bon, un Français exilé au Québec qui édite le blog TiersLivre.net : « Qu’ils se les gardent, Eluard et Reverdy et Apollinaire, mais c’est la phrase, qui me fait mal, et qui est un peu même une insulte à ces trois-là : » les contenus en français sont destinés à un public français « ».
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