Il y a des choses futiles dans la vie, dont on parle beaucoup trop. Et des choses beaucoup plus importantes dont on ne parle presque jamais. La sortie de l’iPad ou la perte d’un iPhone 4G inédit par un ingénieur d’Apple ont fait le tour de la presse ces dernières semaines. Même la très sérieuse Agence France Presse a jugé utile de sortir une dépêche sur ce dernier évènement interplanétaire. En revanche, la campagne menée par Steve Jobs en Californie pour obtenir au plus vite une réforme favorable aux dons d’organes n’a pas traversé l’Atlantique, alors qu’elle servirait aussi de piqûre de rappel en Europe et en France. Une leçon de choses sur les priorités médiatiques.

Le magazine américain Business Insider raconte ainsi ce mardi avec force détails le combat pour la vie mené l’an dernier par Steve Jobs, lorsqu’il a quitté provisoirement les commandes de la firme de Cupertino et que les rumeurs d’une mort imminente se faisaient pressantes. En fait, comme il l’a lui-même raconté à son retour, Jobs a bénéficié d’une greffe de foie sans laquelle il serait décédé. « J’ai maintenant le foie d’une personne d’une vingtaine d’années qui est morte dans un accident de voiture et qui a été assez généreux pour donner ses organes, et je ne serais pas là pas cette générosité« , avait ainsi expliqué Steve Jobs lors de sa première apparition publique en septembre 2009, cinq mois après sa greffe.

Mais pendant que lui bénéficiait d’une greffe, plus de 3.400 californiens attendaient une greffe l’an dernier, 671 en ont bénéficié, et 400 personnes sont mortes.

Pour survivre, Steve Jobs n’a bénéficié d’aucun passe-droit dû à sa notoriété ni à sa richesse, mais sa richesse lui a bel et bien sauvé la vie. Car à partir du moment où il a su qu’il lui faudrait un don d’organe pour ne pas mourir, le patron d’Apple a passé des semaines à parcourir les Etats-Unis pour se rendre de centres hospitaliers en centres hospitaliers, et se faire inscrire sur les listes d’attente de chacun. L’inscription est un processus coûteux, qui demande à chaque fois des examens approfondis, et les assurances médicales ne remboursent qu’une seule inscription. Pour le commun des Américains, la liste sur laquelle ils s’inscrivent est donc leur unique chance. Steve Jobs, lui, a multiplié ses chances.

En mars 2009, il recevait un appel d’un hôpital de Memphis. Un foie était disponible, et il était enfin en haut de la liste des receveurs compatibles. En milliardaire, il fait acheter immédiatement une maison de luxe dans le quartier le plus huppé de Memphis où il résidera pendant plusieurs semaines après l’opération, pour ne pas s’éloigner de la surveillance médicale requise. Quelques mois plus tard, son énergie était à nouveau retrouvée pour s’occuper à temps plein de la sortie de l’iPad.

Mais Steve Jobs a gardé de cette expérience le sentiment que quelque chose n’allait pas dans le système des dons d’organes américain. En décembre, alors qu’il rencontre lors d’un dîner la femme du sénateur Arnold Schwarzenegger, Jobs lui demande de convaincre son mari de modifier la loi. Ce qui fut fait. Le mois dernier, ce qui restait depuis longtemps rangé dans les tiroirs est devenu officiellement un projet de loi déposé par l’Etat de Californie. Désormais, à chaque fois qu’un citoyen californien voudra renouveler son permis de conduire, il déclarera son souhait de faire ou non don de ses organes en cas de décès. Jusqu’à présent, ils pouvaient uniquement déclarer leur intention, sans y être invités.

« Poser cette simple question pourrait doubler le nombre d’organes disponibles pour une greffe en Californie. Une seule petite question. C’est un très fort retour sur investissement« , s’est félicité Steve Jobs, venu lui-même officialiser le dépôt du projet de loi en compagnie d’Arnold Schwarzenegger. « Ce que j’aime chez Steve, a salué l’ancien acteur d’Hollywood, c’est que c’est un homme riche, et nous savons tous que ça l’a aidé à avoir la greffe. Mais il ne veut pas ça, que seuls les gens riches puissent avoir la greffe et un jet privé qui les attendent pour les amener là où c’est nécessaire. Il veut que chaque être humain, que vous n’ayiez pas d’argent ou que vous soyiez la personne la plus riche du monde, que chacun puisse avoir le droit d’avoir une greffe immédiate« .

En France, et depuis 1976, les personnes sont présumées consentantes au prélèvement d’organes. Mais le problème reste important puisque le doute éventuel issu de la consultation obligatoire des proches équivaut toujours à une opposition. Les personnes qui souhaitent manifester de leur vivant leur souhait de donner des organes peuvent le faire en portant par exemple une carte de donneur, qui n’a pas de valeur légale, mais qui constitue un indice de non opposition. A l’inverse, les personnes qui souhaitent formaliser leur refus peuvent s’inscrire au registre national des refus.

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