Mise à jour : les députés de la commission juridique du Parlement Européen ont adopté ce mardi matin le rapport Gallo, par 13 voix contre 8. Il devra désormais être adopté en séance plénière.
Article du 28 avril 2010 – De quel côté va chavirer le Parlement Européen ? Certes, il reste encore possible de convaincre une majorité de députés de renforcer toujours davantage le droit d’auteur contre les intérêts du public. Mais ces derniers mois, entre l’arrivée d’un député pirate, la bataille de longue haleine menée pour l’amendement 138, l’adoption écrasante du rapport Lambrinidis qui s’oppose à la riposte graduée, ou encore la claque envoyée à l’ACTA, le Parlement a montré un intérêt certain pour des vues plus libérales à l’égard de la propriété intellectuelle.
C’est dans ce contexte que l’eurodéputée Marielle Gallo souhaite faire adopter son rapport sur le renforcement de l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur, dont nous avions déjà largement commenté les positions caricaturales. Le rapport n’a aucune incidence directe sur la législation européenne en matière de droit d’auteur, mais il fixe à la Commission le cap à suivre pour les prochaines années. Il donne les grandes lignes de ce que devra être selon le Parlement la politique européenne en matière de protection de la propriété intellectuelle.
A cet égard, l’eurodéputée UMP pourra compter sur le soutien plein et entier du gouvernement français, qui veut profiter de l’occasion pour figer dans le marbre son idéologie la plus conservatrice. Dans un document dont nous avons eu connaissance, que nous publions intégralement sous cet article, les autorités françaises ont transmis aux députés de la commission juridique du Parlement Européen leurs observations sur les 122 amendements (.pdf) déposés au projet de rapport Gallo. Les commentaires en disent long sur l’inflexibilité de la France, qui s’entête à défendre la vision la plus dure du droit d’auteur à l’égard des citoyens européens.
A la lecture des notes, nous pouvons résumer (oui, nous aurions pu faire encore beaucoup plus long) les grandes lignes de la position française :
- Une volonté d’affirmer que le partage de fichiers à but non lucratif est une violation des droits d’auteur qui doit être pénalement réprimée, contrairement à l’avis de la jurisprudence espagnole. La France se dit ainsi « très favorable » à l’amendement 22, qui selon elle « rappelle qu’en raison des engagements internationaux (…) les Etats membres doivent considérer le téléchargement non autorisé d’œuvres comme une infraction au droit d’auteur« . Mais le texte des traités cités est loin d’être aussi catégorique.
- Une certaine incohérence à refuser d’un côté que l’on puisse faire « une distinction artificielle entre la contrefaçon et le piratage » pour traiter ce dernier de manière séparée (amdt 18), et insister constamment d’un autre côté pour que les mots « contrefaçon » et « piratage » apparaissent toujours ensemble dans les mêmes phrases (amdts 26, 41, 44…). Lorsque l’amendement 12 rappelle que le piratage n’a aucune réalité juridique puisqu’il s’agit juridiquement d’une contrefaçon, le gouvernement répond qu’il s’agit d’une « réalité concrète« . En fait, en insistant pour faire apparaître explicitement le piratage, la France veut éviter de voir le téléchargement se banaliser comme une forme socialement acceptée de contrefaçon, assimilée à un acte de copie privée. Il s’agit d’une position purement politique, au risque d’être incohérente.
- Une volonté d‘écarter tout débat sur l’impact du piratage sur l’économie. La France soutient que le téléchargement à but non lucratif est « une menace réelle pour la santé et la sécurité des consommateurs, mais aussi pour notre économie et nos sociétés« , et ne veut rien entendre d’autre. Elle écarte l’amendement 19 qui rappelle l’absence d’étude d’impact de la législation actuelle, au motif qu’il « conteste la gravité des effets négatifs du piratage« . Cependant, elle est « très favorable » à l’amendement 88 déposé par Marielle Gallo en personne, qui « souligne que l’énorme croissance du partage non autorisé de fichiers (…) représente un problème croissant pour l’économie européenne en termes d’opportunités d’emplois et de revenus pour l’industrie ainsi que pour le gouvernement« . Même si ça n’est pas écrit, c’est sur la base de ce genre d’études grotesques qu’ils forgent leur opinion.
- Une opposition farouche à toute licence globale, dont la France ne veut même pas ne serait-ce qu’envisager d’ouvrir une étude de faisabilité à son sujet. Sa position est presque paranoïaque, lorsqu’elle rappelle en commentant l’amendement 11 que les autorités françaises sont « opposées à la mise en place de systèmes de licence globale« , alors que l’amendement propose justement « de nouveaux modèles commerciaux« . Elles rejettent bien sûr l’amendement 101 qui propose de légaliser les échanges de fichiers, mais aussi l’amendement 108 qui se contente d’inviter la Commission à « adopter une approche ouverte par rapport aux propositions présentées concernant (… les) régimes de financement mutualisés pour la création sur la base d’échanges non marchands de contenu numérique« . Il n’est pas seulement interdit de mettre en place une licence globale, il est interdit d’y réfléchir et d’écouter les arguments. Si ça n’est pas du dogmatisme, de quoi s’agit-il ?
- Plus largement, la France refuse d’envisager un autre contrat social pour une protection des droits d’auteur plus respectueuse des droits du public. Elle rejette par exemple l’amendement 20, qui propose à la Commission « d’explorer de nouvelles manières de créer des synergies entre les droits du public et les revenus des auteurs et créateurs« . Lorsque des députés demandent d’adapter « le cadre législatif européen en matière de droits de propriété intellectuelle aux tendances actuelles de la société ainsi qu’aux évolutions techniques » (amdt 46), la France répond que la directive de 2001 sur le droit d’auteur (EUCD) est un « dispositif pertinent et adapté à l’environnement en ligne et aux évolutions technologiques« . Preuve en est sa transposition française, la loi DADVSI, dont personne n’a osé exploiter les dispositions depuis quatre ans… Même l’amendement 99 qui propose simplement de réunir toutes les parties prenantes autour d’une table pour « chercher des solutions qui soient équitables » est repoussé par les autorités françaises. « La ‘révision’ de la protection de la propriété intellectuelle n’est pas l’objectif à poursuivre« , indique la note. Pouvait-on faire plus clair dans l’immobilisme ?
- Une défense entêtée de la riposte graduée. Les autorités françaises s’opposent à l’amendent 30 qui prétend qu’en adoptant le Paquet Télécom et son célèbre amendement 138, le Parlement Européen a « rejet[é] les propositions de « régimes de riposte graduée » au niveau de l’UE« . En revanche, il valide l’amendement 113 qui souhaite donner le pouvoir de suspension de l’accès à Internet à une « instance juridique« , ce qui ne veut absolument rien dire, et qui réserve l’autorité judiciaire à un simple rôle de contrôle postérieur par voie d’appel. Tout ce qu’a condamné en France le conseil constitutionnel.
- Une volonté de « sensibiliser » les jeunes. Déjà imposées en France par la loi Hadopi et prévues au niveau international par l’ACTA, les campagnes de sensibilisation des jeunes aux dangers du piratage sont à la mode. Puisque la génération Napster est perdue, l’idée est de faire de l’école l’instrument d’un recadrage vers plus de respect du droit d’auteur. Les autorités soutiennent y compris l’amendement 81 qui propose aux gouvernements « d’éduquer le jeune public » et le « sensibiliser au rôle des (sociétés de gestion collective)« . Une véritable publicité gratuite pour les Sacem européennes, très contestées voire détestées par toute une génération d’internautes. A cet égard, on notera au passage le soutien à l’amendement 37 qui affirme « que les systèmes de gestion des droits de propriété intellectuelle sont aujourd’hui très transparents et particulièrement efficaces« . La France est aussi favorable à l’amendement 74 qui propose d’associer les « industries concernées » à des campagnes de sensibilisation.
- Une volonté d’affirmer que la lutte contre le piratage est compatible avec les droits fondamentaux. Les autorités françaises sont ainsi favorables à l’amendement 91 de Mme Gallo qui affirme que « la lutte contre le piratage numérique ne remet pas en cause l’exercice des droits fondamentaux des citoyens tels que la protection de la vie privée« . Elle accepte que soit fait référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (amendement 2), mais rappelle par l’amendement 91 que « la
protection de la propriété intellectuelle constitue un droit fondamental conformément à l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE« . Surtout, elle rejette l’amendement 109 qui « insiste sur la nécessité de veiller à ce que toute éventuelle mesure législative adoptée ne limite d’aucune manière les
droits fondamentaux à la protection des données et à la vie privée tels que reconnus par le droit de l’UE« . Selon la France, « cet amendement crée la confusion en laissant à penser que la lutte contre le piratage serait susceptible de porter atteinte à l’exercice des droits fondamentaux« .
Le vote des amendements sur le rapport Gallo, qui a été reporté, aura lieu en principe le 31 mai prochain. Le Conseil et la Commission font essentiellement corps derrière l’idéologie française, tandis que le Parlement est déchiré, y compris à gauche où deux clans s’affrontent.
La note des autorités françaises :
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