Nous l’avons régulièrement répété, l’Hadopi ne s’attaquera qu’aux réseaux P2P. C’est effectivement le seul mode d’accession aux contenus qui permet à un tiers, qui n’est ni l’hébergeur ni le fournisseur d’accès à Internet, de collecter l’adresse IP de ceux qui téléchargent. Or sans adresse IP, pas de riposte graduée. Le décret sur la création du fichier Hadopi exige d’ailleurs de conserver le nom du « protocole pair à pair utilisé« , ce qui exclut toute autre technologie.
Mais il y a bien l’intention d’aller au delà du P2P, en s’attaquant en particulier au streaming, au téléchargement sur les newsgroups, ou sur les sites d’hébergement comme RapidShare. C’est un des messages qu’a souhaité passer lundi soir l’Hadopi, et en particulier l’ancien ministre de la culture Jacques Toubon. Nos confrères d’Electron Libre croient d’ailleurs savoir qu’un « sixième décret est dans les tuyaux, qui permettra à l’Hadopi d’étendre son action à d’autres pratiques que celle des échanges illicites entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer, comme le streaming illégal ou le téléchargement sauvage d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur certaines plateformes d’hébergement« .
Nous n’y croyons pas beaucoup, pour la simple raison que l’arsenal juridique est déjà suffisant pour s’attaquer à toutes les autres formes de téléchargement ou de streaming que le P2P. Il suffit d’employer les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), pour obtenir des hébergeurs qu’ils suppriment les contenus illicites. Depuis la loi Hadopi, l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle permet aussi aux titulaires de droits de saisir le juge des référés pour qu’il ordonne « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier« . Il s’agit d’une disposition qui vise clairement à obtenir le filtrage de sites auprès des fournisseurs d’accès à Internet. Mais il n’y a pas besoin de décret pour l’activer. Que pourrait faire de plus l’Hadopi ?
En réalité, seule une mesure plus systématique (telle que la transmission par l’Hadopi aux FAI d’une liste de sites à bloquer), qui remettrait en cause l’équilibre de la LCEN et la neutralité du net justifierait, peut-être, un nouveau texte réglementaire. « Il faut bien comprendre que la neutralité du Net s’arrête là où le droit de propriété est bafoué« , indiquait hier David El Sayegh, le président du SNEP, le syndicat des maisons de disques, pour expliquer que l’Hadopi s’attaquera à d’autres méthodes que le P2P.
De même, nos confrères de PC Inpact ont pointé du doigt les positions anti-neutralité du net de Michel Riguidel, l’homme chargé d’accoucher d’ici septembre les « fonctionnalités pertinentes » que devront avoir les « moyens de sécurisation » imposées aux abonnés à Internet. M. Riguidel est un farouche défenseur du Deep Packet Inspection (DPI), une technique qui permet de vérifier à la volée le contenu d’un paquet pour décider de son sort sur le réseau. Pour lui, la neutralité du net est une « écume politico médiatique« . Faut-il en conclure que des « fonctionnalités pertinentes » ne seront pas imposées aux abonnés mais aux FAI, pour qu’ils mettent en place un filtrage sur le réseau ? A ce stade, c’est prématuré de l’avancer.
D’autant que le Conseil constitutionnel (encore lui) veille. Dans sa décision sur la loi Hadopi 1, il avait imposé – au nom du respect de la liberté de communication, l’intervention du juge avant tout filtrage, et exigé qu’une telle mesure ne puisse être ordonnée qu’après une procédure contradictoire. Il avait aussi insisté sur le fait que le tribunal ne pourrait prononcer que des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« , ce qui dans les faits interdit toute mesure qui fait courir le risque d’un surblocage. Or ce sont, techniquement, les seules à pouvoir être vraiment efficaces. Le Conseil d’Etat, qui juge la constitutionnalité des décrets, ne pourra que suivre la même grille de lecture.
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