Jeudi, le fournisseur d’accès à Internet associatif FDN a déposé un recours en annulation devant le Conseil d’Etat contre le décret créant le fichier de l’Hadopi. Ce texte prévoit les conditions du croisement des collectes d’adresses IP des ayants droit avec les données de connexions des FAI. S’il est annulé, ce sont de nombreux mois de retard qui seront pris par l’Hadopi. Pour mieux apprécier les chances de succès de cette action, nous avons demandé son avis à l’avocat Maxime Moulin, expert en droit public. Selon Me Moulin, le vice de procédure dénoncé par FDN semble bien avéré, et le Conseil d’Etat annulera le décret s’il estime que l’absence de consultation de l’ARCEP était une formalité substantielle. Ce qu’il pense. Il préconise par ailleurs de demander au Conseil d’Etat la suspension du décret attaqué, dans une procédure en référé. Voici l’analyse juridique que Maxime Moulin nous a aimablement fait parvenir :

i. Le décret 2010-236 est, notamment, fondé sur les dispositions de l’article L. 34-1 du Code des postes et télécommunications :

 » (…)

II.-Pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ou d’un manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, et dans le seul but de permettre, en tant que de besoin, la mise à disposition de l’autorité judiciaire ou de la haute autorité mentionnée à l’article L. 331-12 du code de la propriété intellectuelle d’informations, il peut être différé pour une durée maximale d’un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine, dans les limites fixées par le V, ces catégories de données et la durée de leur conservation, selon l’activité des opérateurs et la nature des communications ainsi que les modalités de compensation, le cas échéant, des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à ce titre, à la demande de l’Etat, par les opérateurs.

(…)

V.-Les données conservées et traitées dans les conditions définies aux II, III et IV portent exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux.

Elles ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications.

La conservation et le traitement de ces données s’effectuent dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les opérateurs prennent toutes mesures pour empêcher une utilisation de ces données à des fins autres que celles prévues au présent article.  »

Cet article est lui-même inséré dans la section 3 dudit Code sous l’intitulé  » Protection de la vie privée des utilisateurs de réseaux et services de communications électroniques « .

L’avis de la CNIL a été pris le 14 janvier 2010.

Néanmoins, si cette procédure d’avis préalable est spécialement applicable aux cas de collectes de données à caractère personnel dans le cadre de l’HADOPI, elle ne remplace pas la procédure de consultation prévue à l’article L. 36-5 du même Code qui dispose à son 1er alinéa :

 » L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre.  »

Le Code des Postes et télécommunications dispose que l’on  » entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie électromagnétique « . (art. L. 32,1°).

La compétence consultative de l’ARCEP ne semble donc pas pouvoir être remise en cause et complète la compétence consultative de la CNIL.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’article L 32-1 du même Code dispose :

 » (…)

II.-Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent :

(…)

5° Au respect par les opérateurs de communications électroniques du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel ;

(…)  »

Il semble donc que le vice de procédure soit avéré puisque l’ARCEP n’a pas été saisie pour avis, ni ne participe à la mise en œuvre de ces dispositions.

ii. Pour autant, tout vice de procédure ne constitue pas nécessairement une cause d’illégalité pouvant justifier l’annulation d’un acte réglementaire.

Encore faut-il qu’il s’agisse d’une formalité substantielle qui n’a pas été respectée.

Le seul arrêt du Conseil d’Etat ayant statué sur l’applicabilité de l’article 36-5 précité n’éclaire pas le débat puisqu’il était évoqué dans un domaine pour lequel cette autorité n’avait pas à intervenir (Conseil d’Etat, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 26/03/2004, 244636).

Il ne semble pas sérieusement contestable qu’il s’agisse d’une formalité substantielle, non pas seulement au regard de la  » protection des données à caractère personnel  » qui ressort également de la compétence de l’ARCEP, mais également des conséquences techniques liées à la mise en œuvre des procédés HADOPI.

Dès lors, si le Conseil d’Etat considère cette formalité de substantielle, ce que je pense, l’annulation sera encourue.

iii. A toutes fins utiles, il aurait été intéressant d’envisager également le droit européen notamment au regard du respect à la vie privée prévu par la convention européenne des droits de l’Homme et le caractère disproportionné des mesures HADOPI au regard du but poursuivi.

Il est regrettable de s’être limité à un simple motif d’illégalité externe.

iv. Il pourrait également être judicieux de saisir le Conseil d’Etat d’un référé suspension concernant ce décret.

En premier lieu, en cas de succès de cette procédure de référé, elle aura le mérite d’être plus rapide qu’une procédure au fond même si elle ne présage en rien du succès final de la procédure principale.

En second lieu, cette procédure a un effet immédiat en cas de succès et paralysera toute mise en œuvre du décret par l’HADOPI.

Maxime MOULIN
Avocat

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