L’UMP peut-elle se réconcilier avec le numérique ? Après les lois DADVSI et Hadopi, et une foultitude de déclarations toutes plus caricaturales les unes que les autres sur les dangers d’Internet, 28 députés UMP ont constitué l’an dernier un groupe de travail sur « l’éthique du numérique« . Emmenés par Hervé Mariton, Patrice-Martin-Lalande, Lionel Tardy, Patrice Calmejane, Philippe Gosselin et Sébastien Huygue, les députés ont auditionné plusieurs personnalités du monde du numérique, ouvert le site Ethique-du-numerique.fr pour recueillir des avis et propositions, et publié ce mardi leur rapport (voir sous l’article).
Le changement de ton par rapport aux discours alarmistes trop bien connus des Frédéric Lefebvre et autres Nadine Morano est marqué dès le titre du rapport : « Vive internet ! Liberté et règles dans le monde numérique« . Il faut d’abord marteler les aspects positifs du numérique, qui constitue « une avancée pour la démocratie« , et qui « offre aussi de considérables opportunités en termes économiques« .
Dans une formulation qui résume toute la pensée et la ligne éditoriale de Numerama (nous n’aurions jamais pensé la trouver dans un rapport UMP), le rapport souhaite « s’assurer que les avancées techniques liées au numérique sont bien mises au service de l’homme, pas seulement au service de quelques intérêts particuliers ou d’une puissance publique qui rogneraient sur les libertés individuelles« . C’est en tout cas l’intention affichée.
Le texte, qui n’engage cependant pas l’UMP dans son ensemble, constitue « une première étape« , en vue de l’élaboration d’une résolution que les députés souhaitent faire adopter au Parlement. « Notre groupe va donc désormais concentrer sa réflexion sur la préparation de dispositions qui, nourries par la concertation, viendront contribuer à l’adaptation de notre droit aux défis du numérique« , indique ainsi le rapport de 38 pages.
Les députés s’inquiètent d’abord de la question du respect de la vie privée et de la protection des données personnelles des internautes. Ils insistent sur « l’extrême urgence » de créer le Conseil National du Numérique, qui regrouperait les compétences du Forum des Droits sur Internet, du Conseil consultatif de l’internet, ou encore du Conseil supérieur de la télématique, et dans lequel le Parlement serait représenté. Ils souhaitent aussi la création d’une CNIL européenne, qui aurait le pouvoir de délivrer des labels aux opérateurs de services en ligne qui suivent ses recommandations.
Pas question, contrairement à ce que souhaite le sénateur UMP Jean-Louis Masson, d’interdire l’anonymat sur les blogs. « Certains acteurs vont jusqu’à remettre en cause le pseudonymat ou l’anonymat dans la sphère
publique numérique. Pour eux, c’est la seule façon de responsabiliser les utilisateurs du net. Nous ne
partageons pas cette vision très radicale. L’écriture sous pseudonyme est une pratique solidement
ancrée dans la tradition littéraire comme dans l’exercice de la démocratie« , rappelle le groupe de travail.
En revanche, ils soutiennent le label IDéNum proposé par Nathalie Kosciusko-Morizet, qui lie l’identité numérique à l’identité réelle. De même, ils plébiscitent la création d’une carte nationale d’identité numérique, et refusent que l’adresse IP soit considérée comme une donnée personnelle, ce qui dans les faits permettrait leur collecte sans autorisation préalable de la CNIL.
Sur le droit d’auteur, le rapport est extrêmement timide. Pas question de flageller la loi Hadopi qu’ils ont adoptée. Mais « jusqu’à présent, on s’est surtout focalisé sur la » moralisation » des pratiques des utilisateurs, en considérant qu’ils devaient payer l’accès au contenu dématérialisé« , reconnaît le rapport. « L’arsenal de sanctions s’est donc surtout adressé à cette cible. Cela n’est pas le plus efficace« . Les 28 députés souhaitent donc « éviter une logique qui oppose consommateur et éditeur et prendre davantage en ligne de compte le rôle du distributeur« , parce que « sur un marché, il est toujours plus facile de » moraliser » les pratiques du distributeur que celles du consommateur« . Mais le rapport ne fait en ce sens aucune proposition concrète.
Il est intéressant en revanche de lire qu’ils se préoccupent de l’impact que pourrait avoir la vision française du « droit moral« , qui « pourrait présenter des difficultés d’articulation avec les nouvelles possibilités artistiques et économiques qu’offre internet« . C’est un premier pas vers la création d’un fair use à la française, qui semble de plus en plus indispensable aux pratiques numériques.
Le rapport fustige aussi le processus de négociation de l’ACTA, en écrivant qu’il est « hors de question que les négociations européennes et internationales sur la régulation de l’internet se fassent dans l’opacité la plus
complète« .
Parmi les autres propositions, on note aussi celle de l’élaboration d’une « législation anti-trust, à l’échelle européenne, qui tienne compte des spécificités du numérique« . L’hégémonie de Google est explicitement citée comme source de risque d’abus de position dominante, tandis que l’exemple de Facebook est sous-entendu.
L’une des rares propositions vraiment originales du rapport est ainsi « d’imposer le principe de l’interopérabilité entre les réseaux sociaux« , pour qu’un utilisateur ait « la possibilité, non seulement de supprimer les données qu’il a lui-même mises en ligne, mais aussi de les transférer vers un autre réseau social« . La proposition ressemble à un fantasme irréalisable, mais les députés vont jusqu’à préconiser qu’elle soit une condition sine qua non de l’obtention d’un label de la CNIL.
Enfin sur la neutralité du net, le rapport estime que « la neutralité du réseau est un fondement qui doit être défendu en France et à l’échelle internationale sous réserve de certaines dérogations nécessaires : criminalité et intérêt de la gestion du réseau« . Deux dérogations extrêmement larges, mais qui devront être « strictement encadrées« , avec « transparence et objectivité« .
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