Pas d’année 2005 sans une année 2004 qui se termine. Nous changeons nos calendriers aujourd’hui et c’est comme à chaque fois le signe qu’est venu le temps de faire le point sur les douze derniers mois qui ont animé la vie du P2P. C’est également le moment de faire les prédictions sur lesquelles nous pourrons revenir dans un an.

Il y a un an, nous prédisions que « ce n’est pas sur un plan technique que se jouera en 2004 l’avenir du P2P« , mais que « la légitimité du P2P sera la clé de 2004« . Nous concluions en disant ceci :

« Si 2003 a été l’année d’une prise de conscience de l’importance du phénomène « Peer-to-Peer », 2004 sera celle des résolutions. Espérons qu’elles aillent dans le bon sens. Nous voyons encore beaucoup trop de batailles contre les systèmes de protection anti-piratage, alors que la clé du combat est de les rendre inutiles. L’avenir du P2P dépend de la volonté que nous avons tous de le rendre légal, et de développer son véritable potentiel : en faire la plus grande bibliothèque cultuelle du monde, accessible gratuitement et librement.« 

Cette bibliothèque d’Alexandrie est encore loin d’être née, mais le fantastique développement des licences Creative Commons qui s’est produit en 2004 fait effectivement tomber le problème des DRM dans un certain passé, tant le nombre d’œuvres librement distribuables se multiplie. Ne retenez qu’une chose pour 2004 : ce fut l’année des Creative Commons. Le doux rêve de Lawrence Lessig, né deux ans plus tôt, s’est concrétisé à travers son adaptation partout dans le monde, en Allemagne, au Canada, en France, au Brésil, au Japon… Des millions d’œuvres sont aujourd’hui couvertes, et nous ne sommes qu’au début de ce qui aura un impact bien plus grand encore que celui de l’open-source dans le monde des logiciels libres. Signe de l’importance de ce phénomène, le très respecté magazine Wired était accompagné en novembre d’un CD audio avec 14 titres sous licence Creative Commons, tous d’artistes talentueux et reconnus tels que les Beastie Boys, David Byrne ou Le Tigre.

Plus généralement, 2004 a été l’année de la révélation pour la décentralisation, non seulement de la distribution des œuvres et des informations, mais également de leurs canaux d’accès. Nous avons ainsi vu l’importance capitale prise en quelques mois par les blogs dans le monde médiatique, et le caractère désormais incontournable de la technologie RSS, encore confidentielle il y a un an. Certes, ça n’est pas directement lié au P2P, mais nous avons vu à travers le P2P-RSS que tous ces phénomènes étaient en fait extrêmement liés. Parler de P2P en 2005 sans parler de blogs, de RSS, ou des réseaux sociaux au sens large, n’aura aucun sens.

2004 : une année conflictuelle

En septembre dernier, nous écrivions un article intitulé le P2P ou la tectonique des plaques, dans lequel nous dressions une métaphore que l’actualité dramatique de ces derniers jours nous prévient de filer. Nous y décrivions le choc entre un monde qui tente de survivre par une surprotection de ses droits, contre un monde qui cherche à rééquilibrer la donne. Et c’est bien ce qui marque cette année 2004, faite de procès contre tous les acteurs du P2P d’une part, et de décisions judiciaires en leur faveur d’autre part.

Après avoir subi des perquisitions, l’éditeur de Kazaa Sharman Networks a affronté les tribunaux australiens le mois dernier. Mais ce sont surtout les procès des consommateurs eux-même qui ont rythmé l’actualité ces derniers mois. Le 26 janvier, nous apprenions l’intention du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP) d’engager des poursuites. Ce fut traduit par une cinquantaine de plaintes déposées l’été dernier et rendues publique fin septembre. On aura ainsi retenu l’alliance entre les FAI, l’industrie du disque et le gouvernement, scellée dans une Charte du 18 juillet 2004. Depuis Alexis, la première victime de cette vague française, a bénéficié d’une certaine clémence du parquet par rapport à la sévérité « pour l’exemple » que l’on attendait. Aux USA, le compteur en est à 7706 plaintes.

Face à ce déferlement, c’est le contraste judiciaire. Au Canada particulièrement, les juges ont à plusieurs reprises renforcé les droits des consommateurs face à l’industrie du copyright :
– la cour suprême, dans la très importante cause CCH rendue le 4 mars, a rappelé l’importance de l’équilibre du droit d’auteur entre les droits des auteurs et les droits du public.
– la cour fédérale d’Ottawa, a refusé le 31 mars de soulever le secret d’identité de 29 utilisateurs de réseaux P2P suspectés de piratage, bloquant toutes les plaintes de l’industrie canadienne.
– la cour suprême à nouveau, le 30 juin, refuse de rendre responsable les FAI du piratage qui a lieu sur leurs réseaux, dans la très attendue affaire du Tarif 22.
– le 16 décembre enfin, en rejetant la redevance pour copie privée sur les iPod et autres baladeurs numériques à disques durs intégrés (une décision cependant contestable).
Ailleurs dans le monde, c’est surtout la décision de la cour d’appel du 9e circuit aux Etats-Unis, rendue le 19 août, qui aura un écho important. C’était en effet la confirmation que les éditeurs de logiciels de P2P décentralisés ne sont pas responsables des actes des utilisateurs.

Le monde se déchire, et nous n’avons pas fini d’en subir les conséquences, tant l’année 2005 verra s’amplifier la lutte.

2005 : l’année décisive

En tout début d’année, des deux côtés de l’océan Atlantique, nous devrons affronter les conséquences de deux traités vieux de 1996, signés à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. En effet, en France comme au Canada doivent être transposés bientôt les traités OMPI qui ont déjà donné naissance au fameux DMCA américain, et à la directive européenne EUCD. Ces transpositions rendront illégal le détournement des DRM, et feront passer le droit d’auteur d’un stade législatif où le droit est décidé pour le peuple par le peuple, à un stade contractuel où le droit d’auteur n’est plus qu’une vaste licence décidée par des multinationales, pour elles-mêmes.

Les procès amorcés en 2004 vont s’intensifier en France, avec l’entrée dans la danse de la SACEM, et probablement une nouvelle vague de plaintes dans les semaines prochaines. La volonté affichée de l’industrie du cinéma de lutter contre la croissance exponentielle de BitTorrent devrait également participer pour beaucoup à une terrorisation croissante des utilisateurs.

Parallèlement, les réseaux P2P anonymes qui émergeaient en 2003, qui se sont développés en 2004, devraient commencer à mûrir et gagner davantage d’utilisateurs en 2005. MUTE et AntsP2P sont bien partis pour devenir de grands noms du P2P de cette année, même si eXeem (non sécurisé) devrait être le programme phare de ces prochains mois. Dans les réseaux traditionnels, Gnutella pourrait faire un retour en force sous l’impulsion de l’excellent Limewire, mais rien ne montre une particulière nervosité de la part des éditeurs qui semblent en panne d’inspiration depuis deux ans. Peut-être 2005 sera-t-elle l’année d’un retour aux innovations ?

Ca sera en tout cas l’année du P2P légal DRMisé, avec l’arrivée de logiciels tels que Mashboxx ou Peer Impact et le développement de Weed.

En bref, l’année 2005 promet d’être toute aussi contrastée que celle qui s’achève, avec d’un côté une lutte amplifiée contre les utilisations illégales du P2P, et de l’autre une montée en puissance des échanges de fichiers supportés par l’arrivée des principes des réseaux sociaux, et le développement des contenus libres sous Creative Commons.

Nous vivons depuis Napster une tragédie, puisque nous savons tous comment l’histoire se termine par la mort des majors dans leur forme actuelle et la victoire de la distribution libre des œuvres et des connaissances. 2005 ne sera qu’un chapitre de plus pour comprendre comment nous arriverons à ce développement ultime…

Nos meilleurs voeux à tous !

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