Le dernier décret d’application de la loi Hadopi, paru ce mardi au Journal Officiel, risque-t-il un recours au Conseil d’Etat comme celui du 5 mars dernier, attaqué par le FAI associatif French Data Network (FDN) parce que l’avis de l’ARCEP n’avait pas été demandé, comme le prévoit la loi ?
Tout d’abord, il faut noter que ça ne sera peut-être pas nécessaire d’agir. En effet si le recours de FDN donne lieu à annulation, comme le pronostiquait dans nos colonnes l’avocat Maxime Moulin, le décret de ce 27 juillet 2010 tombera lui aussi de facto. En effet, la procédure d’avertissement qu’il décrit impose aux FAI et aux ayants droit de transmettre les données personnelles listées par le décret attaqué. Or une telle obligation serait nulle et non avenue si ledit décret auquel il est fait référence n’existait plus. Le gouvernement devra alors publier non seulement un nouveau décret à la place de celui du 5 mars, en sollicitant cette fois l’avis de l’ARCEP, mais aussi un décret corrigé pour remplacer celui publié aujourd’hui. Avec tous les délais engendrés.
Ensuite, il faut s’interroger sur l’impact que peut avoir la violation massive du code de procédure pénale que nous avions soulevée dans un article du mois dernier. L’article 40 du code de procédure pénale dispose en effet que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs« . Il n’est fait aucune exception. Or avec 125.000 saisines par jour promises, on doute que M. Courroye soit très heureux de voir chaque jour décharger un camion rempli de signalements devant son bureau.
Lors de son audition à l’Assemblée Nationale, la présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi avait jugé qu’elle n’était pas soumise à l’article 40, parce que l’infraction de négligence caractérisée n’est justement constituée qu’au moment où elle décide de transmettre au parquet. Une « étonnante subtilité« , disait-elle.
Mais le décret la contredit explicitement. Il dit en effet que « la commission de protection des droits constate par une délibération prise à la majorité d’au moins deux voix que les faits sont susceptibles de constituer [une négligence caractérisée ou] les infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4« . Puis que « la délibération de la commission constatant que les faits sont susceptibles de constituer une infraction, à laquelle sont joints, selon les cas, un procès-verbal récapitulatif de l’ensemble des faits et procédure ainsi que toutes pièces utiles, est transmise au procureur de la République près le tribunal de grande instance compétent. »
Or ces articles ne visent pas la négligence caractérisée, mais différents types de contrefaçons. Il suffit de lire l’article L. 335-2 pour y voir écrit explicitement que « toute contrefaçon est un délit ». Donc, si l’article 40 du code de procédure pénale oblige tout fonctionnaire qui « acquiert la connaissance d’un délit » à le signaler au parquet, il n’y a pas de majorité de deux voix qui tienne pour décider de transmettre. La loi est supérieure au décret.
Chaque membre de la commission de protection des droits doit décider en son âme et conscience si le relevé d’adresse IP qu’il a sous les yeux est un élément démontrant une contrefaçon, auquel cas il a l’obligation de le dire au parquet. Mais de toute façon, puisque la négligence caractérisée n’est constituée qu’en cas de contrefaçon répétée, et uniquement après réception d’un avertissement prévenant l’abonné d’une première contrefaçon constatée par l’Hadopi, aucun avertissement ne peut être envoyé sans que le téléchargement litigieux fût notifié au parquet.
Le code de procédure pénale ne prévoit pas de sanction pour l’irrespect de cette obligation, mais ce peut être un motif d’annulation.
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