Même s’il est improbable, le scénario n’est pas impossible. En déposant un recours au Conseil d’Etat sur le fondement initial d’un vice de procédure, le fournisseur d’accès associatif FDN s’est aussi donné la possibilité de faire juger la légalité-même des procédures pénales prévues dans la riposte graduée. Ainsi, alors que l’on attend au mieux que le Conseil d’Etat décide le 15 septembre de geler l’Hadopi en attendant que l’Arcep soit consultée sur les décrets attaqués, l’avis des magistrats pourrait être beaucoup plus grave de conséquences.
Dans le billet qu’il publiait après l’audience, Spyou révélait mercredi soir qu’à ses premiers arguments de forme contre le décret, « FDN a ajouté un second mémoire portant sur le renversement de la charge de la preuve, préparé dans la nuit et faxé ce matin même (mercredi matin, ndlr), auquel le ministère de la justice a répondu aux alentours de 15h45« .
Plutôt que de concentrer ses arguments sur le vice de procédure qui avait d’abord été soulevé, FDN a fait devant le Conseil d’Etat le procès de la riposte graduée, en s’appuyant sur le coup de coude adressé par le le Conseil constitutionnel aux juges administratifs. On se souvient en effet que dans le commentaire officiel de sa décision, le Conseil constitutionnel s’était montré très réservé sur la légalité du délit de négligence caractérisée, qu’il imaginait peut-être contraire au principe de la présomption d’innocence. Il expliquait alors que puisque le délit allait être défini par décret, et non par la loi, ça serait au Conseil d’Etat de juger de sa conformité avec la Constitution :
« Les conditions dans lesquelles seront constatées et jugées ces contraventions soulèvent la question de l’éventuelle inversion de la charge de la preuve à l’encontre du titulaire d’accès à internet lorsque cet accès fait l’objet d’une utilisation portant atteinte aux droits d’auteurs« , disait ainsi le Conseil, qui prévenait qu’il a « écarté ces griefs non pour des motifs de fond, mais pour des motifs de compétence« .
« La possibilité de poursuivre de telles contraventions est conditionnée à l’adoption du décret qui en définira les éléments constitutifs« , et « c’est notamment sur la question de la définition du lien entre, d’une part, le constat de ce qu’un accès à internet est utilisé à des fins attentatoires aux droits d’auteurs et, d’autre part, l’engagement de la responsabilité pénale du titulaire du contrat d’abonnement (lien plus ou moins automatique selon la rédaction qui sera retenue par le projet de décret), que se concentre la question du respect ou de la méconnaissance de la présomption d’innocence« .
Mercredi, FDN s’est donc attaché à démontrer que la présomption d’innocence n’était pas respectée par les textes. Le président de l’association, Benjamin Bayart, a expliqué qu’il était techniquement impossible ou très difficile d’apporter la preuve qu’un téléchargement allégué n’a pas eu lieu, et qu’un relevé d’adresse IP erroné transmis à l’Hadopi resterait donc une « preuve » irréfragable. Or l’envoi de l’e-mail d’avertissement fait partie intégrante des éléments constitutifs de la contravention de négligence caractérisée.
FDN a aussi rappelé que la négligence caractérisée était juridiquement vérifiée par le constat de téléchargements illégaux successifs détectés avec une adresse IP, alors que de tels constats ne prouvent en rien l’absence d’installation d’un moyen de sécurisation, qui peut avoir été installé de bonne foi mais s’être révélé inefficace. Or là aussi la preuve contraire est très difficile à apporter, et le problème est d’autant plus présent que la Chancellerie invite les parquets à ne pas enquêter, pour sanctionner automatiquement.
Il n’est pas sûr, néanmoins, que le Conseil d’Etat puisse examiner ces arguments, bien que deux recours au fond doivent être déposés. En effet le décret sur la négligence caractérisée ne visant pas directement les FAI, il n’a pas pu être attaqué par FDN qui exerce son recours contre le décret qui crée le fichier Hadopi, et contre celui sur la procédure suivie devant la Haute Autorité. Mais le Conseil pourrait reprendre les arguments pour annuler les décrets attaqués, non plus uniquement sur un motif de forme, mais aussi sur un motif de fond.
Même s’il est improbable, le scénario n’est pas impossible.
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