Après des mois de discussion, la tenue d’un colloque de haut rang et la mise en place d’une consultation publique pour définir des « éléments de réflexion » et les « premières orientations sur la neutralité de l’Internet des réseaux« , l’Autorité de régulation des communications et des postes (ARCEP) a finalement rendu aujourd’hui sa feuille de route en matière de neutralité des réseaux.
À cette occasion, Pierre Col a livré et analyé les premières informations contenues dans ce document d’une soixantaine de pages. Intitulé « Neutralité de l’internet et des réseaux : propositions et orientations« , ce rapport comporte huit propositions dont la mise en œuvre doit respecter trois objectifs définis par l’ARCEP.
- garantir que les fournisseurs d’un accès à l’internet proposent à l’ensemble des utilisateurs, dans le respect des dispositions législatives en vigueur, un accès à tous les contenus, services et applications véhiculés sur les réseaux, de façon transparente et non discriminatoire ;
- assurer le bon fonctionnement des réseaux de communications électroniques, c’est-à-dire garantir une qualité de service satisfaisante ;
- permettre le développement à long terme des réseaux et des services, grâce à l’innovation et au développement des modèles techniques et économiques les plus efficaces ;
Sur la première proposition, concernant la liberté et la qualité dans l’accès à Internet, l’ARCEP « recommande que le FAI qui propose un accès à l’Internet soit tenu, dans le respect des dispositions législatives en vigueur, d’offrir à l’utilisateur final la possibilité d’envoyer et de recevoir le contenu de son choix, d’utiliser les services ou de faire fonctionner les applications de son choix […] et de connecter le matériel et d’utiliser les programmes de son choix« .
Sur ce point, l’ARCEP indique néanmoins que la connexion de matériel et de l’utilisation de programmes ne doivent pas nuire au bon fonctionnement du réseau. Par ailleurs, l’Autorité recommande également que le FAI soit tenu de fournir « une qualité de service suffisante et transparente« .
La deuxième proposition s’intéresse à la non discrimination des flux dans l’accès à l’internet. Ici, « l’Autorité recommande que la règle générale soit de ne pas différencier les modalités de traitement de chaque flux individuel de données en fonction du type de contenu, de service, d’application, de terminal, ou en fonction de l’adresse d’émission ou de réception du flux« . Cette non discrimination doit s’appliquer « en tout lieu du réseau, y compris à ses points d’interconnexion« .
La portée de ces deux premiers principes sont néanmoins conditionnées à la troisième proposition, dédiée à l’encadrement des mécanismes de gestion de trafic de l’accès à l’internet. Ici, l’ARCEP « recommande que, lorsque des pratiques de gestion de trafic sont mises en place par les FAI pour assurer l’accès à l’internet, elles respectent les critères généraux de pertinence, de proportionnalité, d’efficacité, de non discrimination entre acteurs et de transparence« .
C’est peut-être sur ce point très précis que toute la neutralité du net va se jouer. En effet, l’Autorité de régulation des communications et des postes explique en substance qu’elle s’attend ni plus ni moins à des « pratiques de gestion de trafic », c’est-à-dire des mesures qui vont se heurter à un moment ou à un autre à la neutralité du net. Le plus embêtant, évidemment, réside dans la souplesse d’interprétation qui est laissée aux FAI. Plutôt que d’encadrer très strictement cette « gestion de trafic », l’ARCEP préfère lister des critères généraux que les opérateurs devraient respecter.
Ainsi, un fournisseur d’accès à Internet pourrait invoquer la nécessité d’intervenir dans son trafic pour assurer à ses abonnés à un bon accès à Internet. Voire à un service particulier rattaché à son offre Internet. Or, cela pourrait se traduire par exemple par des mesures de restriction de débit pour certains protocoles peer-to-peer, souvent considérés comme des technologies très consommatrices de bande-passante (bien que la vidéo sur Internet est en passe de devenir l’activité la plus gourmande dans ce domaine).
La quatrième proposition concerne les services gérés. « Afin de préserver la capacité d’innovation de l’ensemble des acteurs, tout opérateur de communications électroniques doit disposer de la possibilité de proposer, en complétement de l’accès à Internet, des services gérés, aussi bien vis-à-vis des utilisateurs finaux que des prestataires de services de la société de l’information (PSI), sous réserve que ces services gérés ne dégradent pas la qualité de l’accès à l’internet en deçà d’un niveau suffisant, ainsi que dans le respect du droit de la concurrence et des règles sectorielles » écrit l’ARCEP dans son rapport.
Proposés par les FAI, ces services gérés sont des contenus ou des services intégrés dans une offre Internet. Cela permet à des opérateurs de proposer la téléphonie ou la TV sur Internet par exemple. Pour satisfaire les abonnés ayant souscrit à ces services, le FAI veut garantir que l’accès à ces services et leur utilisation se dérouleront dans les meilleures conditions possibles.
En l’occurrence, l’ARCEP reste flou sur ce qui constitue « un niveau suffisant » pour savoir si l’accès à Internet est de qualité ou non. Comme le fait remarquer Pierre Col, nous ne savons même pas s’il est question d’un niveau qualitatif ou quantitatif. La question se pose d’autant plus que Free avait communiqué sur une offre garantissant « un accès prioritaire aux programmes de toutes les chaînes entre 19h et 22h« .
La cinquième proposition s’attarde sur la transparence accrue vis-à-vis des utilisateurs finaux. Il est surtout question ici de mettre un terme à l’abus du terme illimité par certains opérateurs. L’ARCEP recommande donc que « le terme » illimité » ne puisse être utilisé pour des offres de services incluant des limitations du type » usage raisonnable » ayant pour conséquence soit une coupure temporaire ou une facturation supplémentaire des services, soit une dégradation excessive de débits ou de la qualité de service« .
Cet abus à des fins marketing a été épinglé par des associations de consommateurs, à commencer par l’UFC-Que Choisir, qui a assigné ce mois-ci Orange et SFR pour pratiques commerciales trompeuses. En effet, les deux opérateurs mobiles ont été accusés d’avoir berné leurs clients en leur promettant un faux accès à de l’Internet illimité. Or, les offres en question étaient particulièrement bridées, empêchant l’utilisation du peer-to-peer, de la VoIP ou encore l’accès aux newsgroups.
La sixième proposition porte sur le suivi des pratiques de gestion de trafic. Cette proposition fait écho à la troisième, qui portait sur l’encadrement des mécanismes de gestion de trafic de l’accès à l’internet. « L’Autorité demandera (aux différents acteurs, ndlr) d’engager des travaux communs visant à identifier et qualifier les différents types de pratiques de gestion de trafic, y compris les limitations du type usage raisonnable associées aux offres dites illimitées« . Ces acteurs sont tour à tour les FAI, les associations qui les représentent (comme l’AFA) ou encore les associations de consommateurs.
L’ARCEP indique que les premières propositions devraient être formulées d’ici la fin du premier trimestre 2011. L’Autorité des télécoms prévient par ailleurs que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourrait être impliquée dans ce processus, « si nécessaire« .
L’avant-dernière proposition est dédiée au suivi de la qualité de service de l’internet. L’ARCEP souhaite ouvrir un chantier « visant à qualifier les paramètres principaux de la qualité de service de l’accès à l’internet et élaborer des indicateurs adaptés » et « faire publier périodiquement par les FAI de tels indicateurs de qualité de service de détail spécifiques aux services de transmission de données, notamment pour l’accès à l’internet, tant sur les réseaux fixes que mobiles« .
L’émergence d’indicateurs adaptés devrait relancer la compétition entre les différents opérateurs. En effet, en établissant un suivi périodique, l’ARCEP veut forcer les FAI à assurer une réelle qualité de service de l’accès à Internet. Si les opérateurs ont toujours une obligation de moyens, cette décision rapproche néanmoins une obligation de résultats.
Enfin, la dernière proposition touche au suivi du marché de l’interconnexion de données. L’ARCEP veut faire la transparence sur « les marchés de l’interconnexion de données« . En ce qui concerne les utilisateurs finaux, elle recommande aux acteurs « de faire droit de manière objective et non discriminatoire à toute demande raisonnable d’interconnexion visant à rendre des services ou applications de l’internet accessibles à ces utilisateurs« .
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