Dans la première version du glossaire du site de l’Hadopi, les licences Creative Commons étaient maladroitement définies comme une « alternative légale à la propriété intellectuelle« , ce qui a été corrigé dans la version finale (c’est d’ailleurs sans doute la première fois dans l’administration qu’un glossaire est corrigé en concertation directe avec les internautes, sur Twitter). Elles s’inscrivent en fait pleinement dans le droit d’auteur traditionnel, puisqu’elles partent elles-aussi du principe que tout ce qui n’est pas explicitement autorisé par l’auteur est interdit, en dehors de quelques exceptions légales comme la copie privée. Le but des licences CC est donc d’expliciter les autorisations dès la publication de l’œuvre, pour en faciliter l’usage et la reproduction. Mais cette force des licences Creative Commons fait aussi paradoxalement leur faiblesse. Car elles n’invitent pas à réformer en profondeur le droit d’auteur.
Lorsqu’il y a bientôt cinq ans nous avions publié 12 propositions pour faire évoluer le droit d’auteur et son application, nous avions terminé sur celle qui nous semble encore aujourd’hui la plus fondamentale :
12. Lever le tabou de l’obligation de dépôt des œuvres.
La loi accorde à l’auteur un droit exclusif sur son œuvre dès sa création. Ce principe se justifie dans la vision d’un droit d’auteur dédié principalement aux professionnels ; il a toujours s’agit de protéger un professionnel (un auteur) contre un autre professionnel (un autre auteur ou un éditeur) qui aurait indûment copié une œuvre. Mais aujourd’hui la fonction économique du droit d’auteur s’inverse. Il tend à y avoir davantage d’auteurs à créer des œuvres (que ce soient des chansons ou des commentaires sur un blog) qui ne souhaitent pas tirer le moindre bénéfice économique de leurs créations. Le succès des Creative Commons en témoigne. Le droit d’auteur doit tenir compte de cette évolution, et libérer par défaut les droits sur toute exploitation non commerciale d’une œuvre dont l’auteur n’a pas souhaité réserver les droits lors sa publication. Comme pour les brevets, l’auteur qui souhaite préserver son monopole en toutes situations devrait effectuer une démarche active de dépôt, avec le paiement de droits de gestion (un système de marqueur sur les fichiers permettrait de l’identifier comme déposé). Pourquoi un auteur qui a pour ambition de réaliser un profit par son œuvre n’aurait-il pas à payer un loyer comme un commerçant doit payer ses murs ? On ne peut pas être un professionnel en ayant les avantages sans en subir les inconvénients…
Cinq ans plus tard, la situation n’a pas tellement évolué. Sans parler d’échec, les licences Creative Commons peinent à s’imposer auprès du grand public, comme le remarque l’excellent Calimaq. Il note ainsi qu’en un an, Flickr est passé de 4 à 5 milliards de photographies hébergées, mais que le nombre d’entre elles publiées sous licence CC est resté très faible. 120 millions l’an dernier, elles sont désormais 160 millions. Soit 3,2 % des clichés seulement, pour un service pourtant précurseur sur la libéralisation des droits. « Il y a bien eu une progression du volume total de photographies réutilisables, mais la proportion reste quasiment identique, ce qui révèle hélas que l’adoption des licences Creative Commons ne s’est pas étendue« , regrette-t-il.
« Le droit d’auteur pur et dur a pour lui cet avantage qu’il s’applique automatiquement à toutes les créations, sans même que les individus aient besoin d ‘en avoir conscience, alors que les licences libres nécessitent un acte volontaire d’adoption de la part des internautes. C’est ce qui en fait la valeur, mais là réside aussi la difficulté« , analyse Calimaq. Il note par ailleurs que dans la pratique les licences CC sont de plus en plus délaissées au profit de services propriétaires qui n’autorisent la reproduction des œuvres que dans le cadre de leurs fonctions « embed », donc dans un cadre qu’ils contrôlent. Un phénomène préoccupant qu’il appelle Copydown.
Si l’on ne veut (ou ne peut) pas changer la loi, la solution pourrait être dans l’éducation. Mais à l’initiative de Michel Thiollière, la loi Hadopi prévoit uniquement dans le code de l’éducation que « les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique« . L’information des élèves sur l’utilisation des licences libres avait été rejetée par le Parlement, sous l’influence de Frank Riester. Les deux anciens rapporteurs UMP siègent depuis au collège de l’Hadopi.
Rappelons que sur Numerama, tous nos articles sont publiés sous licence Creative Commons by-nc-nd 2.0, et que la fonction « pirater cet article » qui figure en en-tête vous aider à respecter facilement les termes de la licence.
(illustration : CC Steren Giannini)
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