Muriel Marland-Militello a encore frappé. La députée UMP, dont on ne finit pas de conter les sorties médiatiques contre Internet, a publié sur son site un billet qui réagit, sans le dire explicitement, au blocage exercé par Free dans le mécanisme de la riposte graduée. A moins qu’il ne s’agisse d’une réponse à la réponse de FDN, qui accusait le mois dernier l’élue des Alpes-Maritimes de « chercher le conflit ».
« Je tiens à remercier tous les fournisseurs d’accès internet qui jouent le jeu de la pédagogie vis-à-vis de leurs abonnés (…) L’absence d’internet serait un drame, un drame car c’est un formidable outil qui contribue à la liberté d’expression, à la démocratisation culturelle, à la diffusion des savoirs, etc. Il est donc tout à fait logique que les fournisseurs d’accès participent à la régulation des dérives commises par certains sur internet« , écrit-elle.
Elle reprend, surtout, le leitmotiv de « l’internet civilisé » impulsé par Nicolas Sarkozy en 2007, et depuis régulièrement évoqué pour justifier la riposte graduée de l’Hadopi ou le filtrage de certains contenus. « Sans fournisseurs d’accès responsables, pas d’internet civilisé (…) Et grâce à notre Président de la République Nicolas Sarkozy, la France est la pionnière mondiale de l’internet civilisé« , écrit Muriel Marland-Militello.
On retrouve là les accents du colonialisme qu’avait justifié Jules Ferry à la Chambre des députés en 1885. Sous les applaudissements de la gauche, il défendait la conquête des territoires des « races inférieures » par « des idées économiques, des idées de civilisation de la plus haute portée et des idées d’ordre politique et patriotique« . Les mêmes que l’on retrouve – toutes proportions gardées – plus d’un siècle plus tard pour justifier la colonisation des territoires numériques, et la soumission des indigènes partageurs d’œuvres.
Jules Ferry avait ainsi justifié la colonisation par des impératifs économiques. « Ce qui manque à notre grande industrie, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés« , proclamait-il, comme l’on justifie aujourd’hui l’Hadopi par l’obligation de développer l’offre légale marchande au profit des industries culturelles.
Ferry avait aussi fait appel au « rayonnement » national. La France, affirmait-il, « ne peut pas être seulement un pays libre, elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs, son drapeau, ses armes, son génie« . Combien de fois a-t-on entendu Christine Albanel parler de la France qui montre la voie au reste du monde, et justifier la riposte graduée par la protection de la Culture française et de son « droit d’auteur » dont Nicolas Sarkozy persiste à dire – à tort – qu’il a été inventé par la France ?
Mais ce sont surtout des « idées de civilisation » qui étaient avancées au 19ème siècle. « Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions œuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ?« , demandait Jules Ferry à ses pairs.
« Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures…« .
En 1885, c’est Georges Clemenceau qui s’était opposé au député. « L’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation« , avait-il critiqué. « C’est le génie même de la race française que d’avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d’avoir compris que le problème de la civilisation était d’éliminer la violence des rapports des hommes entre eux dans une même société et de tendre à éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles (…) n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation« .
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