Ouf, enfin ! Cet été, nous avions dénoncé le fait que quatre ans après sa promulgation, la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) n’était toujours pas complète. Nous critiquions en premier lieu l’absence de publication du décret d’application de l’article de loi qui donnait à l’ancienne Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), devenue l’Hadopi, le pouvoir de fixer « le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l’exception pour copie privée« . Plus largement, le texte retenu depuis 2006 par le gouvernement devait fixer les règles de procédure à suivre pour réguler les mesures techniques de protection (les DRM), notamment en matière d’interopérabilité.
Or c’est au moment où on l’attendait le moins que le décret a finalement été publié, comme deuxième partie de celui consacré à la labellisation de l’offre légale par l’Hadopi. On ne peut que s’en féliciter, puisque le ministère répond enfin à la promesse de contrebalancer le volet répressif de la loi qui a instauré la riposte graduée. C’est en tout cas un premier pas dans la bonne direction, même si en pratique son application et son impact devraient rester rare et négligeable.
Le décret n° 2010-1366 du 10 novembre 2010 impose d’abord à l’Hadopi de rendre compte dans son rapport annuel « des orientations qu’elle a fixées (…) pour ce qui regarde les modalités d’exercice et le périmètre de l’exception pour copie privée et des décisions prises par elle, sur le fondement de l’article L. 331-32 en matière d’interopérabilité, de l’article L. 331-33 en matière d’exceptions et de l’article L. 331-34 en matière de transmission des textes imprimés sous la forme d’un fichier numérique« .
Sur la copie privée et autres exceptions au droit d’auteur prévues par la loi, le décret prévoit que les utilisateurs peuvent demander à l’Hadopi de trancher tout litige qui porterait sur les restrictions abusives créées par les DRM. Le demandeur, qui peut être une association agréée, doit d’abord « justifier qu’il a demandé au titulaire des droits qui recourt à la mesure technique de protection de prendre les mesures propres » à garantir le bénéfice des exceptions (copie privée, droit de citation, revue de presse…), et que sa demande n’a pas été suivie d’effet « dans un délai raisonnable« . Lequel n’est pas déterminé.
Après une tentative de conciliation infructueuse, la Haute Autorité peut prononcer une injonction à l’encontre des ayants droit ou des plateformes, qui « détermine les modalités d’exercice de cette exception et fixe notamment, le cas échéant, le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l’exception pour copie privée, en fonction du type d’œuvre ou d’objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponible« .
Un nombre minimal de copies qui pourra très bien être fixé à zéro, par exemple dans le cas des vidéos à la demande qui sont louées à distance, et qui ne peuvent être enregistrées sans remettre en cause le modèle économique des plateformes de VOD… Le décret dit que les décisions de l’Hadopi ne doivent pas « porter atteinte à l’exploitation normale d’une œuvre ou d’un objet protégé par un droit de propriété intellectuelle, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits de propriété intellectuelle » (c’est le fameux test en trois étapes qui fait primer les intérêts économiques des producteurs sur les intérêts du public).
Par ailleurs, l’Hadopi pourra « préciser les engagements que le demandeur doit respecter pour assurer le maintien des conditions d’utilisation du contenu protégé et les modalités d’accès à celui-ci et, le cas échéant, l’efficacité et l’intégrité de la mesure technique mise en œuvre« .
Sur l’interopérabilité, la loi permet à « tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service » de saisir l’Hadopi pour « obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles » qui lui permettront de développer une solution interopérable. Le décret fixe la procédure à suivre, complexe et potentiellement coûteuse, et précise que « le demandeur doit en outre préciser la nature et le contenu du projet dont la réalisation nécessite l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité qu’il sollicite« . L’interopérabilité n’est donc pas vue comme un droit absolu de tout développeur, mais comme un droit accordé au cas par cas en fonction de l’objectif suivi.
En pratique, l’Hadopi désigne un rapporteur, qui tente de concilier les deux parties. En cas d’échec, la Haute Autorité « peut, par une décision motivée, soit rejeter la demande dont elle a été saisie, soit enjoindre (…) l’accès du demandeur aux informations essentielles à l’interopérabilité« . Dans le cas où elle accède à la demande, l’Hadopi peut accorder au concepteur du DRM une indemnité financière qui « tient compte notamment de la valeur économique des informations communiquées« .
On imagine mal des éditeurs de logiciels libres capables d’indemniser Apple de l’abandon de son monopole sur le DRM Fairplay, utilisé sur iTunes. D’autant que le demandeur doit s’engager à garantir « l’efficacité et l’intégrité de la mesure technique et, d’autre part, les conditions d’utilisation du contenu protégé et les modalités d’accès à celui-ci« , ce qui paraît peu compatible avec le logiciel libre. Le décret précise d’ailleurs que ces engagements « portent également sur les conditions de publication du code source et de la documentation technique« .
Ainsi, si en théorie le décret permet à l’Hadopi de faciliter l’interopérabilité des DRM, en pratique cela risque d’être une toute autre histoire. Ce qui est moins gênant depuis que le Conseil d’Etat a reconnu le droit de contourner les DRM à des fins d’interopérabilité.
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