L’Hadopi a confié au professeur Patrick Waelbroeck le soin de réaliser une étude sur l’économie de la musique en ligne, et le partage de valeur entre les acteurs de la filière. Le chercheur de ParisTech est un habitué de l’analyse de l’impact du piratage sur l’industrie culturelle, et ses conclusions ne vont pas toujours dans le sens souhaité par l’industrie…

Emmanuel Hoog a remis lundi au ministère de la Culture un accord passé entre les ayants droit de la musique et les éditeurs de plateformes de musique en ligne, qui a abouti à une série de 13 engagements. La licence de gestion collective, à laquelle aurait dû aboutir ces négociations, a été enterrée, comme on le savait déjà depuis près d’un an. Elle aurait permis d’autoriser n’importe quel éditeur à exploiter commercialement le catalogue de toutes les maisons de disques, à des conditions tarifaires communes pour tous.

A la place de la gestion collective obligatoire, les maisons de disques se sont engagées à publier leurs conditions générales de vente pour qu’elles soient les mêmes pour tous, à assurer une certaine pérennité aux contrats, à justifier les avances sur recettes demandées, à faire preuve de transparence sur les minima garantis demandés,… autant de mesures qu’il faut applaudir, parce qu’elles régulent enfin un secteur qui était resté sans foi ni loi. Mais rien qui ne permettra vraiment de débloquer un marché de la musique en ligne sclérosé, verrouillé par les quelques acteurs qui ont la main sur les trois-quart de la musique recherchée par le public. Ce qui devait devenir « Hadopi 3 » fait flop.

C’est tout de même la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits (Hadopi) qui aura en charge le suivi et l’observation des 13 engagements. Elle devra aussi conduire une étude sur l’économie du secteur de la musique numérique, et sur l’état actuel du partage de la valeur entre les différents acteurs de la filière. Cette mission a été confiée par la présidente de l’Hadopi Marie-Françoise Marais à Jacques Toubon, ancien ministre de la culture – également membre du Collège de l’Hadopi, réputé pour sa volonté de lutter férocement contre le piratage.

Il aura toutefois à ses côtés un expert chargé de conduire l’étude économique. Ce sera Patrick Waelbroeck, un enseignant-chercheur de l’école Télécom ParisTech (comme Michel Riguidel, chargé des moyens de sécurisation), docteur au département économie et sciences sociales. Un choix intéressant, qui semble montrer le souci de l’Hadopi de conduire une étude dont les conclusions ne sont pas dictées d’avance. Patrick Waelbroeck fait en effet figure de référence scientifique dans le domaine de l’impact du piratage sur l’économie culturelle.

Il a conduit une série de travaux, aux conclusions diverses. Dans la dernière, publiée en juin 2008, il concluait que le téléchargement illégal avait pu causer une baisse de 20 % des ventes de musique dans le monde entre 1998 et 2002, mais que « d’autres facteurs que les téléchargements de musique sur les réseaux de partage de fichiers sont probablement responsables du déclin des ventes de musique en 2003« . Deux ans plus tôt, le professeur Waelbroeck s’était intéressé au piratage de films dans les universités françaises, en interrogeant 620 membres de l’Université. Il montrait que « de manière surprenante, environ un tiers des pirates ont déclaré que regarder des films piratés accroissait leur demande de films (par exemple, cela les conduisait à louer ou acheter des vidéos qu’ils n’auraient pas louées ou achetées autrement)« . Selon l’étude, « contrairement à ce que prétendent les producteurs de cinéma, le piratage sur Internet semble n’avoir que peu d’impact négatif sur la fréquentation des cinémas (…), l’effet le plus fort est sur les ventes et locations de vidéos (VHS, DVD)« . Montrant que le piratage n’avait pas d’impact avec ceux qui louaient des vidéos grâce à des cartes pré-payées, le chercheur concluait que la VOD par abonnement avait de bonnes chances de rééquilibrer le marché. En 2005, dans une étude sur l’impact du téléchargement gratuit, il montrait que l’effet négatif du piratage pouvait être plus que compensé positivement par le « sampling », qui permet aux consommateurs de trouver exactement la musique qu’ils aiment. « Les consommateurs sont prêts à payer plus parce que la correspondance entre les caractéristiques du produit et les goûts des acheteurs est optimisée« , concluait-il.

Mais l’étude la plus révélatrice publiée par Patrick Waelbroeck est celle qu’il a conduite en 2006 en examinant les autres études faites sur le piratage. Il y critique le réflexe habituel, selon lequel une copie est une vente perdue, qui cause un préjudice économique direct. Le chercheur explique que les mécanismes économiques liés à la copie sont beaucoup plus complexes, et que l’industrie culturelle peut même parfois tirer bénéfices des copies réalisées.

En 2009, Patrick Waelbroeck avait aussi accordé un entretien à nos confrères d’Electron Libre, dans lequel il s’était montré critique à l’égard de la loi Hadopi. « Cette loi n’empêchera pas ceux qui téléchargent beaucoup de continuer à le faire, car il existe d’autres moyens de se procurer des fichiers musicaux gratuitement, tels que les disques durs portables, les réseaux privés et les Intranets, sans compter les outils d’anonymisation sur Internet qui rendent très difficiles la récupération de l’adresse Internet d’un utilisateur de réseaux de partage« , expliquait-il. Elle « risque de renforcer le star system, qui consiste à promouvoir un très petit nombre d’artistes superstars et d’inonder le marché avec leurs CD, au détriment de la diversité culturelle et de l’accès au marché d’artistes émergents indépendants« , ajoutait-il. Un problème qu’aurait justement permis de résoudre, au moins partiellement, une licence de gestion collective…

Selon le chercheur, « la protection de la propriété intellectuelle reste fondamentale dans l’ère numérique, mais il ne faudrait pas oublier son rôle fondamental : encourager la création artistique. Rien n’indique que la créativité a baissé ces dernières années, lorsque que l’on voit les dizaines de milliers de profils d’artiste disponibles sur les sites de réseaux sociaux tels que Myspace ou Facebook« .

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