Mercredi dernier, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) publiait le modèle de recommandé qu’elle prévoit d’envoyer aux abonnés qui ont déjà reçu au préalable un premier avertissement par courriel, et dont l’adresse IP est de nouveau collectée dans les 6 mois. Nous nous étions étonnés d’y lire, d’un ton menaçant, que « nous vous rappelons que les comportements volontaires de consultation, mises à disposition ou reproduction d’œuvres protégées par un droit d’auteur, appelés couramment « piratage », constituent des délits de contrefaçon sanctionnés par les tribunaux« .
Etrange formulation. En effet, le code de la propriété intellectuelle n’interdit jamais la simple « consultation » d’une œuvre sans autorisation. Ce sont les actes de reproduction, de représentation, et de mise à disposition du public sans autorisation qui sont des délits. Pas la consultation. On peut interdire de copier un livre. Pas de le lire. Ce sont d’ailleurs ces trois délits qui sont précisément visés par l’article L336-3 du code de la propriété intellectuelle, que cite l’Hadopi dans son recommandé.
La seule explication, en dehors d’une erreur ou d’un mensonge, était que la Haute Autorité estime que la consultation d’une œuvre piratée constitue une forme de recel de contrefaçon, lorsque la personne qui regarde ou écoute une œuvre sait qu’il s’agit d’une contrefaçon. D’où l’expression « comportements volontaires » indiquée dans la lettre. Mais il s’agit là d’une simple hypothèse, et à notre connaissance il n’existe aucune jurisprudence qui établit l’existence d’un délit de recel de contrefaçon par la simple « consultation » d’une œuvre piratée.S’il est bien interdit de mettre en ligne un film piraté, rien ne permet d’affirmer qu’il est interdit de le regarder en streaming.
Nous avions donc contacté l’Hadopi la semaine dernière pour avoir des explications. La réponse nous est parvenue jeudi soir, sous la plume de Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi. Elle vaut d’être reproduite dans son intégralité. Nous nous attendions à une longue explication juridique, teintée de jurisprudence, et voici ce que la magistrate issue du Conseil d’Etat nous a répondu :
« Monsieur
Vous avez souhaité avoir des éclaircissements sur les termes employés dans la deuxième
recommandation envoyée aux abonnés dont l’accès à internet a de nouveau été utilisé à des
fins illicites.Comme vous le savez la commission de protection des droits est attachée à ce que ses propos
et ses courriers soient intelligibles par des personnes non averties, des subtilités du droit
de la propriété intellectuelle. C’est la raison pour laquelle les recommandations ont été
prioritairement rédigées dans le souci d’être compréhensibles par ceux qui les recevront.La CPD a donc volontairement écarté tout ce qui pourrait apparaitre comme une qualification
juridique des faits – qui n’est pas de son ressort et relève exclusivement des prérogatives du
procureur de la République – et privilégié un langage courant facilement accessible. Toutefois
la citation des articles du code en annexe de la recommandation doivent permettent à ceux qui
le souhaitent de se reporter aux dispositions légales applicables et d’éviter ainsi toute erreur
d’interprétation. »
L’Hadopi ne conteste pas qu’elle réinvente le droit en affirmant que la « consultation » des œuvres piratées est une contrefaçon. Pire, elle l’assume sans rougir, et prétend que les administrés devraient lire les termes exacts de la loi et l’interpréter mieux qu’elle pour vérifier qu’en effet, l’Hadopi divague.
Le courrier n’aurait pas été moins compréhensible s’il s’était contenté de dire que « les comportements volontaires de mises à disposition ou reproduction d’œuvres protégées par un droit d’auteur, appelés couramment « piratage », constituent des délits de contrefaçon« .
Si l’Hadopi ajoute la « consultation » en sachant parfaitement que c’est une erreur juridique, c’est parce qu’elle souhaite faire peur. Elle veut dissuader les internautes de se rabattre vers les plateformes de streaming, en leur faisant croire qu’ils pourraient être encore sanctionnés, alors que ça n’est possible ni techniquement, ni juridiquement.
Mais est-ce le rôle, et le droit, d’une autorité publique indépendante, de faire dire à la loi ce qu’elle ne dit pas dans l’objectif de faire peur aux citoyens auxquelles elle s’adresse ?
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