En attendant la publication du rapport définitif prévu à la mi-mars, les députées Corinne Erhel (PS) et Laure de la Raudière (UMP) ont présenté à la Commission des affaires économiques un rapport d’étape de leur mission d’information sur la neutralité d’Internet et des réseaux. Le texte est encore confidentiel, mais ses grandes lignes ont été détaillées devant la Commission le 26 janvier dernier. Elles confirment que le rapport, établi après la consultation d’une centaine de personnes, semble être de grande qualité. Ce qu’il faudra confirmer à la lecture du rapport final, qui vient compléter un rapport du gouvernement, un rapport de l’ARCEP, et un futur rapport de la Commission européenne.
Laure de la Raudière a ainsi résumé les principaux axes envisagés pour définir dans la loi la neutralité du net :
- L’absence de filtrage, hors mesures techniques ou mesures obligatoires prononcées par un juge ;
- Garantie d’une qualité de service suffisante sur internet ;
- L’absence de mesures ciblées de dégradation de la qualité de service ;
- L’accès non discriminatoire aux différents niveaux de qualité de service ;
- La garantie de conditions techniques et tarifaires d’interconnexion équitables.
Sur la question du filtrage, il est ainsi prévu d’interdire le « filtrage d’un site précis par un opérateur dans le but de décongestionner le réseau (…) car ce site serait alors très défavorisé par rapport à ses concurrents« . Contrairement à ce que prévoit le projet de loi Loppsi, qui a retiré le contrôle judiciaire de la liste des sites à bloquer, la mission parlementaire préconise de ne rendre obligatoire un filtrage que lorsqu’il est ordonné par un juge. Et encore, « la mission s’interroge sur l’opportunité de confier à l’ARCEP le pouvoir de contrôler la proportionnalité des mesures techniques de filtrage mise en œuvre suite à une décision judiciaire« , nuance-t-elle. Les magistrats n’ayant pas toujours conscience de la lourdeur du filtrage et de la grande difficulté technique à le mettre en place, l’Arcep pourrait intervenir pour jouer les arbitres entre le juge et le FAI.
En revanche, les députées parlent d’autoriser des « mesures techniques » de filtrage, ce qui reste flou. Dans quel cadre un FAI peut-il avoir l’obligation technique de bloquer ou brider l’accès à un site ou un service ?
« Les opérateurs doivent être capables de réaliser des opérations de gestion de trafic en toute transparence et sans porter atteinte aux intérêts des fournisseurs de contenu« , prévient Laure de la Raudière. Sa collègue socialiste Corrine Erhel paraît plus laxiste, puisqu’elle souhaite « réfléchir aux moyens donnés aux fournisseurs d’accès de résoudre une équation économique difficile, entre d’un côté des prix d’abonnement auprès des usagers qui pour l’instant n’augmentent pas et d’un autre coté l’absence actuelle de rémunération du côté des fournisseurs de contenus et des opérateurs de transit alors qu’ils font face à des besoins d’investissement croissants« . Une formulation qui rappelle que l’élue de la commune de Lannion, qui héberge le centre R&D de France Télécom, s’est déjà distinguée dans le passé pour son positionnement favorable à certains opérateurs… L’équation qu’elle évoque serait plus facile à résoudre si les FAI et les producteurs de contenus acceptaient de revenir au P2P qui est plus respectueux de la neutralité du net.
Dans le débat qui oppose Orange à MegaUpload/MegaVideo, il faut noter une idée originale de la mission parlementaire. Une piste de réflexion avancée par la députée UMP, mais dont on n’imagine pas qu’elle puisse être adoptée par une majorité libérale : confier à l’ARCEP « le pouvoir de fixer les conditions tarifaires de l’interconnexion, soit à travers un prix plafond pour garantir l’accès au réseau à un prix raisonnable des fournisseurs de contenu et des intermédiaires techniques, soit à travers un prix plancher afin que les injecteurs de trafic contribuent à l’investissement dans les réseaux« .
Il est intéressant de noter aussi le souci qu’ont les députées de ne pas laisser les FAI favoriser les services gérés au détriment d’Internet. On se souvient à ce sujet des propos d’un responsable de Free, qui avait expliqué que le FAI « vend avant tout un accès haut débit à des services, Internet étant proposé sans surcoût« . Le risque d’une telle vision étant qu’à terme, les services gérés sur la Freebox soient plus rapides que les services édités sur Internet, ce qui fera glisser progressivement l’abonné vers un univers fermé, où la concurrence est faussée et l’innovation bridée. Sur ce point, la mission prévient que « la qualité de l’accès à internet doit toujours être suffisante et ne doit pas être dégradé pour mieux vendre des services gérés« , et propose de « de prendre des mesures législatives spécifiques afin d’assurer un accès non discriminatoire aux moyens techniques permettant de fournir de la qualité de service, et en particulier aux services gérés« .
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