Ce lundi matin, nous rapportions la publication du rapport de la commission des lois du Sénat sur l’évaluation de la loi de 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon. Entre autres propositions de renforcement des sanctions, le rapport des sénateurs s’intéresse au statut protecteur dont bénéficient les hébergeurs, depuis la loi du 6 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Les auteurs du rapport souhaitent revenir sur l’équilibre trouvé à l’époque.
La question est abordée dans les pages 43 à 48 du rapport, et part d’un constat intéressant. Il rappelle en effet la distinction opérée depuis 2004 entre un éditeur, qui est réputé responsable de tout ce qu’il publie, et un hébergeur qui parce qu’il ne choisit pas les contenus qu’il héberge « ne peut être tenu civilement ou pénalement responsable que s’il a connaissance d’activités ou d’informations manifestement illicites et qu’il n’agit pas promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible« . A l’époque où cette distinction a été imaginée, le législateur pensait que les hébergeurs n’avaient « aucune capacité d’action sur les contenus hébergés et ne retiraient aucun avantage économique et financier directement lié à la consultation des contenus hébergés« .
Or les sénateurs constatent qu’avec le développement des services en ligne, « certains hébergeurs ont abandonné leur rôle de stockage passif de données pour adopter une démarche plus active en publiant eux-mêmes des informations ; vendant des espaces publicitaires et tirant des recettes qui dépendent du succès des contenus hébergés (mesuré au nombre de » clics « ) ; proposant un service aux internautes ; exerçant, dans certains cas, une activité commerciale« . Ils estiment donc, que ces éditeurs de sites « web 2.0 » se trouvent « à mi-chemin entre les hébergeurs et les éditeurs« , puisqu’ils ont un intérêt économique à rendre visibles les contenus qu’ils hébergent.
Les rapporteurs constatent que dans son arrêt du 23 mars 2010 sur l’affaire Vuitton, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a conforté les éditeurs web 2.0, en leur appliquant le statut d’hébergeur.
Ils proposent donc qu’entre l’hébergeur et l’éditeur soit créée une catégorie « éditeur de services« , définit comme « une société qui retire un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés« . La proposition peut avoir un intérêt, mais elle soulève déjà deux problèmes. Le premier, c’est que la LCEN est issue d’une directive européenne sur le commerce électronique de 2000, et que seule une révision de cette directive pourrait permettre d’amender le droit interne (ce qui pourrait être initié dans les mois qui viennent suite à une consultation publique achevée le 15 octobre 2010). Le second, c’est que jamais les sénateurs n’abordent l’intérêt d’une telle distinction. Ils assurent qu’elle fait défaut mais ne démontrent jamais que la protection des éditeurs web 2.0 crée un préjudice important aux titulaires de droits, et qu’il est dans l’intérêt global de la société d’y remédier.
La formulation retenue en page 46 est à ce titre révélatrice : « De nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs ont estimé que la CJUE avait validé un certain » modèle économique de l’Internet « , privilégiant la protection des grands acteurs, tels que les moteurs de recherche, au détriment de certains droits fondamentaux, au premier rang duquel figure le droit de propriété intellectuelle. En conséquence, vos rapporteurs considèrent qu’il est nécessaire de faire évoluer la directive Commerce électronique« . On passe immédiatement des doléances des personnes auditées à la proposition de réforme, sans passer par la case « analyse » ou « vérification ».
Or le statut d’éditeur de services ne serait pas sans conséquence, potentiellement graves. Outre l’obligation de mettre en place un outil d’alerte pour simplifier la suppression des contenus signalés, le rapport propose en effet que les « éditeurs de services » soient obligés de « mettre en place tous moyens propres à assurer
une surveillance des contenus qu’ils hébergent, d’autant que les outils de recherche syntaxique et sémantique ou de reconnaissance d’images ou de sons sont aujourd’hui très efficaces » (p. 47).
« Ces systèmes reposent naturellement sur la participation des titulaires de droit afin que l’ensemble des œuvres protégées fassent l’objet d’une identification par ces systèmes de reconnaissance, ce qui permet d’empêcher une mise en ligne sans autorisation« , expliquent les sénateurs. Omnibulés par la protection des droits, ils ne s’intéressent jamais au respect des exceptions légales et à la possibilité que ces filtrages automatisés puissent nuire à la liberté d’expression, comme l’ont démontré récemment la suppression d’un zapping des JT, ou la censure d’une vidéo satirique du Parti Communiste. Les deux ont eu lieu sur Dailymotion, qui est cité en exemple de bonne conduite dans le rapport.
Les sénateurs ne s’intéressent pas non plus au coût de telles mesures de filtrage imposées aux éditeurs. « Ce système de surveillance devrait être conforme à l' » état de l’art « , c’est-à-dire utiliser les technologies les plus avancées« , écrivent simplement les rapporteurs.
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